Mon dernier article sur le growth marketing a généré de nombreux retours et des échanges très intéressants. Le sujet est vaste et complexe, je vous propose donc de prolonger la réflexion avec l’étude de modèles marketing plus récents qui sont passés sous mon radar (4 C, SAVE) et l’analyse des ingrédients-clés pour un marketing robuste, à l’épreuve d’une concurrence exacerbée.
Dans “growth hacking”, il y a “hacking”
Vous avez été nombreux et nombreuses à réagir à mon précédent article (sur ce blog, sur Twitter ou LinkedIn) et à me partager des liens de livres ou articles sur le “vrai” growth hacking. Il y a donc un consensus au sein de la communauté pour dire que non, non et non, le growth hacking ce n’est pas du tout des tactiques de pirate pour récupérer des emails ou stimuler des inscriptions, mais une démarche rigoureuse et respectueuse, entièrement tournée vers les besoins réels et concrets des clients.
OK très bien. J’avoue, qu’il est effectivement facile de se rendre compte que les mentalités et pratiques ont beaucoup changé ces deux dernières années. Mais dans ce cas là, pourquoi ne pas changer le nom de ces pratiques ? Ne serait-il pas plus simple d’utiliser les bons termes pour décrire les méthodes utilisées : design thinking, behavioral design, lean UX… ? Je ne comprends pas bien l’intérêt de s’accrocher à un terme qui traine un gros boulet (les pratiques de hacking) en complète opposition avec ces nouvelles valeurs qui semblent universellement adoptées et revendiquées.
Les différents échanges que j’ai pu avoir avec mes lecteurs m’amènent à penser que la fonction et les pratiques marketing sont en pleine transformation et que nous sommes loin d’avoir un modèle de référence qui face l’unanimité dans la profession. Est-ce à dire que les marketeurs traversent une crise identitaire ? Oui tout à fait, car j’ai parfois l’impression que le marketing s’applique à tout (à une époque, nous parlions de “marketing d’interfaces”) et recouvre tous les domaines (de la distribution à la communication en passant par la fidélisation et la commercialisation). Pour ma part, plutôt qu’un super-marketing qui chapeaute les autres métiers, je prône une approche plus étroite et surtout fidèle aux fondamentaux du marketing : la science de la mise sur le marché. Cette science s’applique donc aux étapes d’analyse du marché (besoins, concurrence…) et à la définition d’une offre, le tout avec moult données pour alimenter une rigueur scientifique (pas de place à l’intuition).
Je referme cette parenthèse sémantique, car je ne compte pas m’enliser dans un débat d’expert. Le but de cet article est de partager avec vous mes réflexions et trouvailles, pas de vous imposer un vocabulaire, vous êtes libre d’utiliser vos propres termes et référentiels (certains parlent ainsi de “full stack marketer”).
4 P + 3 P + 4 C + 4 E + 3 C = 🤪
À la base, il y avait donc les 4 P : Product, Price, Place et Promotion. Je me suis déjà exprimé sur ce modèle et ses limites dans un quotidien numérique, donc je ne reviens pas dessus (cf. Il n’y a plus de marketing digital, mais du marketing pour des clients digitaux).
Ce modèle a été remplacé dans les années 80 par les 7 P, une version étendue du marketing mix qui intègre trois nouveaux éléments (People, Processes et Physical Environment). Il a d’ailleurs été adopté officiellement par le Chartered Institut of Marketing, la plus importante association de professionnels du marketing : The Marketing Mix, from 4 Ps to 7 Ps.
Plus récemment, Philip Kotler, un des experts les plus réputé dans le domaine, a proposé une approche plus centrée sur les clients avec les 4 C théorisés par Robert Lauterborn dans les années 90 : Customer Needs, Cost, Convenience et Communication (The 4C’s of Marketing Mix). Une vision beaucoup plus moderne, mais qui reste plus pragmatique que d’autres modèles lancés au fil des ans (cf. 4P, 4C, 4E, 4D… le mix marketing en toutes les lettres).
Étrangement, ce modèle à 4 C a été supplanté par celui d’un professeur japonais qui a proposé un modèle censé être plus complet, mais qui est final quasi incompréhensible : Professor Koichi Shimizu’s 7Cs Compass Model.
Au final, on se retrouve avec un bon gros cafouillage et des professionnels un peu perdus qui se tournent vers des pratiques de niche (email marketing, content marketing…) et des définitions dérivées (pinko marketing, inbound marketing…).
Un modèle simple et universel pour nous sauver de la cacophonie
Avec toutes ces définitions et théories pêle-mêle, il devenait urgent de définir un nouveau cap, un axe de travail sur lequel ancrer les pratiques. Croyez-le ou non, mais il existe un modèle très intéressant publié en 2013 dans la Harward Business Review : Rethinking the 4 P’s. Initialement pensé pour le BtoB, cette réinterprétation des 4 P baptisée SAVE propose de déplacer le curseur sur ce qui compte vraiment aux yeux des consommateurs :
- de Product à Solution, c’est à dire de définir une offre non pas en fonction des caractéristiques d’un produit, mais en fonction des problèmes qu’elle résout. Cette approche permet d’éviter une course à la fonctionnalité ou à la performance technique et s’inscrit tout à fait dans la logique de méthodologie comme le Design Thinking ou le Blue Ocean Strategy.
- De Place à Access, l’important n’est pas de verrouiller les points de vente, mais de faciliter l’accès au produit (et aux services associés) tout au long du parcours client. Là encore, nous sommes tout à fait en phase avec les pratiques d’omni-canalité.
- De Price à Value. L’idée n’est plus de proposer le prix le plus compétitif (quitte à fabriquer un produit “good enough”), mais à raisonner en terme de valeur, c’est à dire de bénéfice apporter aux clients. Des méthodes comme le Value Proposition Design permettent de facilement rentrer dans cet état d’esprit.
- De Promotion à Education. Nous abandonnons ici les pratiques de matraquage publicitaire pour nous intéressez aux besoins des consommateurs et leur apporter du contenu utile et surtout opportun.
Ainsi donc était né le modèle SAVE. vous noterez que ce modèle prolonge la réflexion des 4 C et apporte une certaine universalité (il fonctionne aussi bien en BtoC qu’en BtoC) et même de la robustesse (il reste parfaitement d’actualité et s’intègre tout à fait dans un contexte VUCA). Je regrette qu’il n’y ai pas une littérature plus développée sur ce modèle, car il est de loin le plus pertinent que je connaisse : simple et efficace. Si vous avez des articles ou des études de cas qui y font référence, je suis tout à fait preneur.
Le focus sur les besoins des consommateurs et contenus s’inscrit parfaitement dans cette période de grande tension ente les marques et leurs clients (Pascale Hébel (Crédoc) : «Les consommateurs se détournent des grandes entreprises»), où l’on a l’impression que les deux ne parviennent plus à se comprendre malgré de nombreuses évidences (Les six tendances 2018 de la relation client et Consommation : les 4 révolutions de la confiance qu’attendent les clients).
Quand on y réfléchit bien, le principal problème des marques est qu’elles sont encore bloquées dans des logiques du XXe siècle : celles des économies d’échelle, des zones de chalandise et des médias de masse. Outre ces schémas de pensée obsolètes, les entreprises traditionnelles sont également pénalisées par leur échelle de temps : il leur faut plusieurs années pour définir une nouvelle offre, pour la mettre sur le marché, donc pour la rentabiliser. Il en résulte des cycles produit qui s’étalent sur 10 ans, un énorme décalage par rapport au marché et aux clients dont les comportements évoluent si vite. Le modèle SAVE apporte un vision plus proche du “terrain” (de la réalité du marché et des besoins des consommateurs) et force les marques à adopter une approche plus pragmatique (ne pas chercher à imposer son produit sur le marché) et à des cycles produit plus courts.
Post-it is the new ERP
Après plusieurs décennies de numérisation (de la communication interne et externe, des processus…) et de rationalisation (cost killing), la salut des entreprises passera nécessairement par une profonde remise en question de leur offre et de leurs valeurs. Certaines peuvent bien fantasmer avec des pratiques à la marge comme le Nudge, la Captology ou le Brandtech pour regagner en compétitivité, mais il faudra se lancer dans un chantier de refonte bien plus ambitieux pour être de nouveau synchrone avec le marché et surtout en phase avec les nouvelles exigences des clients. À ce sujet, je vous engage à lire le très bon article publié par McKinsey l’année dernière sur l’évolution des comportements d’achat et les nouvelles priorités à se fixer : The new battleground for marketing-led growth.
Comme précisé en début d’article, même si je suis persuadé que le modèle SAVE est auto-suffisant, ma démarche n’est pas d’imposer ma vision. L’important n’est pas de se mettre d’accord sur LE modèle ultime, mais plutôt d’adopter un nouvel état d’esprit. Je n’insisterais jamais assez sur l’importance d’abandonner les dogmes du XXe siècle pour adopter des pratiques plus agiles et surtout plus novatrices.
Je suis ainsi particulièrement séduit par la notion de Lean Marketing, qui est d’ailleurs très proche du growth hacking / marketing.
De même, en faisant des recherches sur la servicisation, je suis tombé sur de nombreuses théories tournant autour des product-service systems, une approche industrielle et commerciale faisant le lien entre produits et services.
Au final, peut-être est-ce là la clé de l’évolution du marketing : une réflexion en profondeur pour assouplir les pratiques, raccourcir les cycles et repenser les offres (d’où le titre de l’article). Moralité : peut importe le nom, l’important est d’avoir la conviction et le bon schéma de pensé.
Merci Fred pour ce billet, j’apprécie la manière dont tu associes sources (articles, études, rapports) + analyse personnelle + exemples / cas réels existants. Cela forme un contenu intéressant à lire et surtout plus aisé à retenir.
Il reste toutefois quelques ‘typos’ à corriger (comme “les pratiques de matraquage publicitaire pour nous intéressez” … 8-| )