La confiance des clients ne se gagne pas sous la contrainte

Aujourd’hui c’est lundi. Le Cyber Monday succède au Black Friday qui lui-même succède aux ventes privées. Une succession de publicités très agressives sur des prix toujours plus bas qui entachent à la fois l’image de marque, mais également la valeur perçue des produits. Certes, ce temps-fort commercial est devenu un classique incontournable, mais il est l’arbre qui cache la forêt : des pratiques marketing très douteuses qui reposent sur une utilisation parfois très douteuse de données personnelles. La logique commerciale (vendre toujours plus) doit-elle l’emporter sur la logique de fidélisation (chercher à gagner la confiance des clients) ? Ce n’est pas à vous d’en décider, car le législateur a déjà tranché. À partir de là, soit vous entrez dans l’illégalité, soit vous commencez à préparer l’avenir. Car ne vous faites pas d’illusions : il n’y a plus de place pour les spammeurs.

La confiance est une thématique qui revient régulièrement notamment quand il est question du ressenti des internautes (La confiance dans le numérique a grandi avec la crise) ou de la façon de la gérer de façon plus rigoureuse par des moyens algorithmiques (ex : blockchain). C’est un sujet dont on a beaucoup parlé avec l’entrée en vigueur du RGPD en 2018 (La confiance sera LE gros chantier numérique de l’année), mais qui est passé au second plan.

Heureusement, ce mois-ci, j’ai eu l’occasion d’intervenir lors d’un webinaire organisé par SendEthic, puis de participer à une table ronde : Ethique et performance : entre responsabilité sociétale et logique économique.

Avec l’intensification de nos usages numériques provoquée par la crise sanitaire, nous pourrions penser que la confiance est la priorité des marques qui souhaitent développer leurs activités en ligne, et pourtant dans les faits, c’est plutôt l’inverse !

Les supports numériques représentent en effet une formidable opportunité pour toutes les marques qui souhaitent s’affranchir des contraintes physiques, notamment pour la publicité et le marketing direct : afficher des publicités dans la rue ou distribuer des tracts dans les boites aux lettres coûte cher, ça vous vous en doutiez. Le faire de façon dématérialisée est nettement moins onéreux et à peine moins efficace. Selon ce calcul, pourquoi s’en priver ? Parce que ce ne sont pas les bons paramètres qui sont pis en compte dans ce fameux “calcul”.

300 emails performent-ils mieux qu’un seul ?

Voilà maintenant 25 ans que la première bannière a été affichée, et presque autant d’années que les pratiques d’emails publicitaires sont en cours. En un quart de siècle, nous avons eu amplement le temps de constater les limites d’une logique commerciale qui repose sur le matraquage publicitaire en ligne, ou pas ! Les supports numériques offrent ainsi un formidable terrain de jeu pour les marques et organisations peu scrupuleuses qui souhaitent bourrer le crâne de leurs clients et cibles.

Dans le jargon, on appelle ça “augmenter l’intensité commerciale”. Un terme savant qui ne retranscrit pas bien la violence de cette approche et surtout les dommages qu’elle peut provoquée à l’image d’un produit ou à la relation entre une marque et ses clients, d’autant plus si les publicités sont personnalisées à l’aide de données récupérées et exploitées dans des conditions douteuses.

Récemment, l’Union Européenne a tenté de cadrer ça avec le RGPD, subissant les critiques des éditeurs de contenu du monde entier. Néanmoins, le règlement européen à été depuis copié par d’autres grandes nations qui en proposent une variante souvent encore plus contraignante (ex : CCPA, PIPP…). Comme quoi, les dérives étaient bien réelles et devaient être restreintes.

Nous sommes quasiment en 2022, les lois sont bien là, mais les pratiques abusives persistent. Illustration avec cette compagnie aérienne espagnole qui m’a demandé mon N° de téléphone pour me prévenir en cas de retard de mon vol et en profite pour me bombarder de SMS à l’occasion du Black Friday. Ici, il y a très clairement infraction, car ces messages promotionnels sont non sollicités (ce n’est pas une erreur ou un oubli, c’est volontaire).

Si vous faisiez l’effort de leur trouver des excuses, vous pourriez me dire : “Oui, mais c’est juste pour le Black Friday“. Malheureusement, cet argument n’est pas recevable, car une seule fois suffit à ruiner une relation qui vient de démarrer ou qui existe depuis de nombreuses années.

De plus, ceci n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres, surtout dans le domaine de l’emailing où les pratiques abusives sont encore courantes (ex : inscription forcée à une liste de diffusion, maintien dans la liste malgré les demandes de suppression…).

A-t-on réellement besoin de vous rappeler que la confiance est fragile ?

La confiance n’est pas qu’une vague notion, un concept ou un idéal. Certains en ont fait leur business comme le distributeur Darty avec leur fameux Contrat de Confiance. Elle se définit comme le sentiment de quelqu’un qui se fie entièrement à quelqu’un d’autre, c’est une croyance ou une espérance en la valeur morale et professionnelle d’une autre personne ou entité, qui fait que l’on est incapable d’imaginer de sa part tromperie, trahison ou incompétence.

Autant vous dire que la confiance est quelque chose qui se gagne, ou plutôt se mérite. Obtenir la confiance de quelqu’un est comme un privilège : non seulement il faut la respecter, mais aussi en prendre soin. Pour une entreprise commerciale, la confiance est un capital qui se valorise, car elle est synonyme de fidélité : l’effort pour réaliser une vente additionnelle sera moindre. Et inversement : une entreprise qui ne bénéficie pas de la confiance de ses clients devra utiliser d’autres leviers pour faire des ventes.

Aujourd’hui, les marques se battent pour gagner et conserver la confiance des clients. Celles qui souhaitent sortir du lot doivent fournir de gros efforts pour mériter la confiance et la fidélité de leurs clients. Autant vous dire qu’il est quasiment impossible de sortir du lot si l’on se contente de plus ou moins respecter le RGPD, c’est un peu comme de mentionner sur une boutique en ligne que les transactions sont sécurisées.

Bien trop souvent, on considère que la confiance est le problème des équipes en charge de la relation client ou de l’expérience utilisateur. Depuis quand la confiance est un “problème” ? C’est plutôt l’inverse, non ? Dans le cas de la compagnie aérienne mentionnée plus haut nous ne sommes pas face à un problème ergonomique ou technique, c’est un choix délibéré de leur part de récupérer des N° de téléphone dans une base de données réservée à l’exploitation (les coordonnées personnelles des passagers) pour l’importer dans leur outil publicitaire pour spammer leur propres clients. Ici très clairement le problème est marketing ou commercial.

Une erreur que l’on croise malheureusement chez de nombreuses autres sociétés qui vous inscrivent de force à leur newsletter et vous arrosent dès le lendemain de votre achat en ligne avec des promotions personnalisées, avant même que le produit vous soit livré !

Je pense que nous sommes tous d’accord sur le principe de privilégier la relation à long terme (la confiance) aux potentiels bénéfices immédiats (les promotions illégales, car non conformes au RGPD). Néanmoins, je tiens à vous apporter un argument plus tangible avec cette très récente étude d’Adobe : 67 % des français seraient prêts à se détourner d’une marque qui trahirait leur confiance. Cette étude réalisée en août 2021 auprès de 6.000 personnes, dont plus de 1.000 consommateurs français, nous apprend que les trois principales raisons qui font qu’un client s’éloigne d’une marque sont :

  1. des produits ou de services qui ne répondent pas à leurs besoins (40 %) ;
  2. des publicités envoyées malgré une demande de désinscription (40 %) ;
  3. Un nombre trop important de communications (38 %) ainsi qu’un manque de transparence de la politique de confidentialité et de la destination des données.

Ce n’est pas la première fois que l’on parle du manque de transparence, et il existe à ce sujet une autre étude qui précise ce dernier point : Que pensent les Français de l’utilisation de leurs datas personnelles par les marques ?

Pour revenir aux résultats de l’étude publiée par Adobe, la déception, l’absence d’écoute ou manque de transparence donc fatals pour les marques. À l’inverse, les clients qui dont confiance à une marque sont plus enclins à :

  • Faire des recommandations à des amis (65 %) ;
  • Effectuer plus d’achats (64 %) ;
  • Adhérer au programme de fidélité (46 %) ;
  • publier des avis ou des commentaires positifs (33 %).

Vous pourriez me dire que ces statistiques sont inutiles et que toute personne censée, avec un minimum de bon sens, se doute qu’il ne faut pas abuser de la confiance des consommateurs. Et pourtant, les dérives persistent malgré les lois et outils de protection de la vie privée : Ad trackers continue to collect Europeans’ data without consent under the GDPR. J’insiste sur le fait que ce n’est pas un problème technique ou une mauvaise configuration, c’est un acte conscient et délibéré de “professionnels” qui doivent très certainement se dire qu’une bonne promo, ça ne se refuse pas…

Inutile de préciser que je suis absolument outré par ce genre de pratique, et que je me réjoui du durcissement de l’arsenal législatif avec le renforcement des contrôles et sanctions de la CNIL, l’arrivée l’année prochaine de la seconde version de la directive e-Privacy et le futur Digital Service Act qui va réguler plus largement le secteur publicitaire.

Pour résumer : toutes les tentatives pour violer ou contourner les règlementations sont vaines, car elles ne font que repousser l’échéance. Plus tôt une marque met en place une politique et des pratiques strictes de respect de la confidentialité, et plus tôt elle commence à bâtir une relation de confiance avec ses clients.

Aujourd’hui, il y a un évident déséquilibre entre les moyens mobilisés pour hurler des promotions aux oreilles des clients plutôt qu’à former et outiller les collaborateurs à une gestion plus respectueuse et pérenne de la donnée, notamment avec un recentrage sur les données internes (first-party data) plutôt que les données externes (third-party data) : De l’évolution nécessaire des stratégies marketing dans un monde post-cookies.

Ce dont je suis en train de parler n’est pas simplement le recours à un prestataire de mise en conformité RGPD, mais bien un réalignement des stratégies marketing et communication sur les attentes et les préoccupations des consommateurs. Ainsi, selon L’ObsSoCo, 41% des Français déclarent envisager de profiter du Black Friday cette année, soit 16 points de moins qu’en 2020 : Black Friday 2021 : une baisse d’attractivité qui confirme la prise de distance à l’égard de la consommation. Cet évident changement de mentalité préfigure un début de changement de comportement que les marques doivent impérativement anticiper.

De l’économie du donut au doughnut marketing

Les Trente Glorieuses désignent la période de forte croissance économique entre 1945 et 1975. Cette période exceptionnelle de croissance a été stoppée par la crise pétrolière de 1979 ainsi que les suivantes (krach du marché obligataire d’octobre 1987, krach boursier de 2001 et crise financière de 2008). Baptisées les Trente Piteuses, cette période trouble devait laisser la place à une nouvelle phase de croissance. Cette dernière a été de courte durée, car avortée par les crises climatiques (Extinction Rebellion), sanitaires (COVID) et sociales (Gilets Jaunes).

Aujourd’hui, plus que jamais, il est largement le temps de tourner la page du 20e siècle pour affronter les défis du 21e siècle et la raréfaction des ressources. Nous ne sommes ainsi plus dans une logique de “Produire plus pour vendre plus”, mais de “Produire mieux pour vendre mieux”. Formulé autrement, nous devons en finir avec la recherche systématique de croissance du chiffre d’affaires (Kate Raworth : « Nous devons briser notre dépendance à la croissance »).

Cette tension entre la logique mercantile (vendre toujours plus pour espérer faire des bénéfices) et les préoccupations environnementales s’exprime à travers des principes comme la théorie du Doughnut : la nécessité de trouver le juste milieu entre croissance et durabilité, c’est à dire entre les besoins élémentaires de chaque citoyen, le plancher social, et ce que nous pouvons faire subir à la planète, le plafond de l’environnement (cf. La théorie du Donut : une nouvelle économie est possible).

Je ne suis pas un spécialiste en économie, loin de là, en revanche, je vois un parallèle évident avec le sujet de cet article : transposer cette théorie au marketing, c’est-à-dire trouver le juste milieu entre la recherche de performance (le plancher économique) et la construction d’une relation de confiance avec les clients (le plafond éthique).

Ce que nous pourrions désigner comme un marketing éthique serait une approche raisonnée en termes d’objectifs de visibilité, d’engagement, de ventes… s’accompagnant de pratiques respectueuses envers les clients et prospects (limiter la pression commerciale / publicitaire).

Cette vision n’est-elle pas trop naïve ou utopique ? Peut-être. En tout cas, ce dont je suis certain, c’est que les pratiques commerciales post-COVID ne vont nous conduire nulle part, car elles s’apparentent surtout à une politique de la terre brûlée. D’autant plus que la crise n’est pas encore terminée…

Je répète ce qui est écrit en début d’article : nous avons plus que jamais besoin de repenser le marketing et la communication. D’une part, car les supports changent (La publicité numérique condamnée à se réinventer, à nouveau !), mais également car les besoins et attentes évoluent (De la faculté d’adaptation à la capacité d’acceptation des nouveaux usages numériques).

Il convient ainsi de trouver le bon équilibre entre performance et confiance pour chacune des pratiques (conquête, fidélisation, réactivation…) et ce, sur chacun des supports (site web, newsletters, médias sociaux, résultats de recherche…). Je constate ainsi que bon nombre de boutiques en ligne dépensent des fortunes pour apparaitre en tête des listes de résultats de recherche sur des produits qui ne sont même pas en stock. Je constate aussi que la grande majorité des marques et institutions persistent à envoyer à la Terre entière des newsletters qui ne sont pas ouvertes car elles sont automatiquement basculées dans la boite à spams. Comme si à force d’en envoyer, les utilisateurs allaient être pris de remords et changer d’avis (“Ho les pauvres, ils se donnent tellement de mal…“).

Ce genre d’aberration ne devrait plus exister, plus en 2022. Nous n’avons ni le temps (attention limitée), ni les ressources (électricité, bande passante…) pour faire perdurer ce gâchis. Il est largement le temps de renoncer aux pratiques du 20e siècle (ex : matraquage publicitaire) et aux dérives du growth hacking (ex : scraping de données) pour concentrer les efforts sur des activités plus pérennes (ex : production de contenus à valeur ajoutée) et une approche plus éthique du marketing (définir une gouvernance des données). Ceci passe par une meilleure maitrise des opérations (ne plus sous-traiter à des prestataires peu scrupuleux), donc une ré-internalisation des compétences. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler dans un prochain article.

2 commentaires sur “La confiance des clients ne se gagne pas sous la contrainte

  1. Je trouve l’article, et l’analyse, particulièrement pertinents.

    J’aurais presque envie d’applaudir des 2 mains… si ce n’était ces traqueurs GA et Facebook déclenchés sans consentement sur le blog ;)

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