C’est à la suite d’une très instructive émission diffusée vendredi soir sur Netgaming TV que j’ai entamé une réflexion de fond sur Second Life, et plus généralement sur l’intérêt des univers virtuels. Vous trouverez donc dans ce billet un certain nombre de questions existentielles relatives aux univers virtuels et à la condition sociale des avatars.
C’est quoi Second Life ?
Voilà une question anodine qui pourtant est au coeur de l’incompréhension latente de ce bazar. Selon Wikipedia version US, Second Life est un univers virtuel en 3D. Cette définition est pour moi tout à fait correcte, bien plus correcte que la traduction française de cette page Wikipedia où il est question d’un jeu de rôle à univers persistant en 3D
. Faux, car qui a dit que Second Life était un jeu ? Personne, en tout cas pas les concepteurs qui le définissent comme une société en ligne balbutiante qui est entièrement façonnée par ses résidents (a burgeoning new online society, shaped entirely by its residents
).
Je préfèrerais étendre cette définition et dire que Second Life est comme un média : chacun peut y trouver ce qu’il cherche. Au même titre que la télévision ou que l’internet, sur Second Life on peut se divertir, faire des rencontres, jouer, s’informer, créer, échanger, exprimer sa créativité… On y retrouve ainsi une population très hétéroclite où chaque résident est animé par des ambitions très variées : trouver l’âme soeur, passer du bon temps en s’extirpant du quotidien, faire des affaires, recruter des fidèles, assouvir ces fantasmes, faire avancer le débat politique… et parfois tout ça en même temps !
Pourquoi Second Life ?
Et pourquoi pas ? Car après tout le logiciel et l’accès à l’univers est gratuit. De plus, les contraintes y sont moindres et le sentiment de liberté est immense. A partir de là, pourquoi serions-nous condamnés à supporter le langage indéchiffrable des Skyblogs (lol-kikoo-mdr
) et les mises en page hideuses des MySpace ?
Pour faire simple, je dirai que le succès de Second Life est conditionné par deux facteurs :
- la créativité de nombreux résidents qui souhaitent partager leur talent ;
- l’opportunisme d’un petit nombre qui souhaite spéculer à court terme.
Mais dans la mesure où nous sommes entre adultes consentants (car je vous rappelle qu’il existe un Second Life pour les moins de 18 ans), où est le mal ? Il est certain que si vous souhaitez voir des excentriques, des fanatiques, des marchands de sexe et autres cyber-terroristes alors vous allez être servi ! Mais vous avez aussi la possibilité de ne pas les voir, de les ignorer, comme vous pouvez le faire dans votre quotidien. La nature humaine est ainsi faite qu’elle autorise toutes sortes d’excès et de débordements, et Second Life ne fait pas exception.
Pourquoi dépenser son argent dans Second Life ?
Encore une fois et pourquoi pas ? Faire des achats dans Second Life n’est pas plus stupide que d’acheter des cigarettes ou des sonneries de téléphone portable : c’est juste un petit plaisir solitaire dont il ne reste pas grand chose au bout du compte.
Mais bon, comme on dit chez nous : les petits ruisseaux fond les grandes rivières
, et le v-Business (Virtual Business) est une réalité fort lucrative : les marques font parler d’elles avec un minimum d’investissement, les créateurs d’objets et de biens relatifs aux avatars parviennent à monétiser leur créativité en limitant les frais, les promoteurs immobiliers et autres marchands de biens (virtuels) s’en donnent à coeur joie. Regardez par exemple comme il beau mon avatar avec son costume à patte d’eph’:
Tout ceci est néanmoins très surprenant dans la mesure où la notion de propriété dans Second Life est tout relative : il s’agit plus d’une prestation que d’une priorité car le jour où les serveurs seront débranchés vous ne possèderez plus rien. Et pourtant ça marche…
Pourquoi communiquer dans Second Life ?
Nous en arrivons donc tout logiquement à nous demander dans quelle mesure une marque ou une institution aurait un intérêt à s’implanter dans cet univers virtuel. Les exemples de grandes marques américaines ayant tenté l’aventure sont nombreux, quoique….!…quand on y réfléchit bien, Second Life ne représente qu’à peine plus de 2 millions d’utilisateurs pour une cinquantaine de marques grand public. Est-ce une révolution dans l’univers de la communication de marque ? Non, pas réellement. En tout cas plus depuis que les annonceurs et les régies publicitaires ont intégré le virtuel (internet, jeux vidéos en ligne et univers virtuels) dans leur stratégie.
A partir de là, est-il réellement opportun de s’implanter dans Second Life ? La réponse à cette question est forcément ambigüe :
- si vous êtes une marque qui cible exclusivement les jeunes et les adopteurs précoces alors oui, vous avez tout intérêt à y être ;
- si vous avez l’ambition d’être la banque des jeunes et que ces même jeunes se lassent des T-shirt et des CD que vous offrez depuis 15 ans pour les séduire, alors oui vous avez bien raison d’y être (voir à ce sujet ce billet : BNP PARIBAS, premier grand groupe français dans Second Life ?) ;
- si vous n’avez pas de site web ou si votre site web peut être amélioré, alors concentrez-vous sur cette tâche au lieu de vous disperser.
Conclusion
Vous l’aurez sans doute compris, le buzz médiatique autour de Second Life n’est pas forcément mérité. Pas forcément car cette plateforme est, rappelons-le, minuscule (moins de 2,5 millions de membres pour combien d’utilisateurs actifs ?) mais où néanmoins les possibilités sont immenses et où la créativité est au rendez-vous.
Inutile également de vous voiler la face : à l’instar des MySpace ou de YouTube, Second Life n’attirera jamais plus de 100 millions de membres. Tout simplement parce que les barrières à l’entrée y sont très élevées :
- un matériel de pointe (ordinateur récent et très bonne connexion à internet) ;
- une forte motivation (créer un avatar et comprendre le fonctionnement de l’interface demande bien 30 minutes, faire son premier achat est encore plus complexe) ;
- une ambiance très folklorique (et c’est un euphémisme) qui peut refroidir plus d’un utilisateur ;
- une concurrence très active de la part d’autres univers virtuels (Entropia Univers, There, Habbo Hotel, CyWorld, CityPixel…) ou de jeux en ligne (World of Warcraft, Everquest…).
Bref, tout porte à croire qu’avec Second Life, nous nous dirigeons tout droit vers une nouvelle (petite) bulle spéculative. Mais bon, c’est quand même très sympa d’y passer un petit moment.
Merci pour les infos ! Article clair et documenté, ça fait plaisir ! Je ne dis pas que les autres ne l’étaient pas, mais je ne suis vraiment pas fan des prédictions en tout genres ;)
A mon avis (qui n’engage que moi, bien entendu), tu prends aussi un petit raccourci en critiquant la définition de Wikipedia fr : jeu de rôle = jeu, bon et que veut dire jeu pour toi ? Personnellement, je ne connais pas grand chose aux jeux de rôle, mais la description que tu fais de Second Life correspond aussi à l’idée que je me fais des jeux de rôle. Même si il n’y a pas d’enjeu (de quêtes, de tâche prédifinie à remplir, etc.), c’est un univers virtuel dans lequel on assume une identité factice pour vivre une vie virtuelle. Du jeu de rôle simpliste en quelque sorte (quoi que après lecture de l’article wikipedia sur les jeux de rôle, on est peut-être plus proche de la définition originelle…).
Je souhaiterai apporter une précision. En anglais existent 2 expressions : – role playing (“jeu de rôle” plutôt à visée thérapeutique ou socialisante, comme par exemple une simulation d’entretien d’embauche) ; – role playing game (littéralement “jeu de jeu de rôle”), qui sert à désigner les jeux “ludiques” (si j’ose dire… ), du style de “Donjons & Dragons” (l’ancêtre, lui-même ayant sa source dans les wargames) et sa descendance innombrable. En français, on dit aussi “jeu de rôle”. Cela explique (un peu) le malentendu, il me semble. Mais, de toutes façons, que Second Life soit un jeu ou non ne change rien à ton argumentation (fort intéressante), et n’est certainement pas un critère de qualité ou de pertinence. Chacun est libre de l’utiliser, comme un outil de travail, un jeu, un moyen de se faire des connaissances, etc. Et où est le problème ? ;-) Thierry
Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions. Il y aura sans doute à plus ou moins moyen terme un Second Life 2.0 ne nécessitant pas l’installation de logiciel et simplifiant l’accès à ces univers virtuels. Pourquoi pas, par exemple une version Wii, XBoX 360 ou PlayStation ? Dans ce cas, cette plateforme aura un réel potentiel de développement.
D’accord avec Thierry, que ce soit un jeu ou non c’est vraiment le cote marketing qui est (ou plutot peut etre) interessant. Il n’empeche que je reste plutot dubitatif quand a son reel interet. Un autre point de vue: Second life : mensonges et Open Source avec quelques liens interessants dans le billet et les commentaires.
Bonjour, Merci pour ce point exhaustif, je rejoins votre point de vue sur le fait qu’aujourd’hui l’audience française est très limitée…autant mettre des hommes sandwitchs devant le stade de France pendant une journée pour toucher autant de personnes. Je pense que les modèles publicitaires restent à parfaire (l’exemple des pauvres boutiques sans vendeur adidas et Reebok le prouvent). Question subsidiaire : faut-il considérer la pub second life comme du placement de produit et donc le traiter hors sapin? Subito
Tant qu’à être pointilleux sur les termes -je trouve comme Spica que contester que Second Life soit un jeu est très discutable- je me permets de préciser que l’internet n’est pas le média, ce serait plutôt le web qui est un média. Je chipote, mais puisque nous sommes entre adultes consentants ;-) Sinon, merci de poster régulièrement au sujet de Second Life, c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup, même si je ne suis pas (encore ?) un professionnel.
J’avoue ne pas comprendre le buzz suscité par Second Life. On peut certes émettre quelques réserves concernant la finition de sites tels que Myspace (widgets à gogo, html 0.4 et gif animés de folie !), Youtube (compression immonde et zoomée !), skyblog (no comment)… il n’empêche que ces sites se servent du web en tant que tel et ne cherchent pas à “singer” le réel, ce qui est le cas de SL. Quel est l’intérêt de se balader dans un centre commercial en 3D quand on déteste le faire dans le monde réel et qu’on est habitué au one-click d’amazon ou autre ? Ca me rappelle d’ailleurs un bide de Canal+ datant des années 2000, reproduisant les galeries commerciales Paris…
Comme j’ai dit précédemment dans le post sur les prévisions 2007, le concept est bon : proposer un monde parralèle au notre sans ses limites.(une sorte de Vanilla Sky pour ceux qui connaissent) Mais concrètement, ça reste un jeu vidéo de basse technologie et donc l’immersion ne peut être réussie mis à part peut être pour ceux qui ont déjà tendance à s’identifier à leurs personnages qd ils jouent à un jeu vidéo.
Vous avez donné un jugement de valeur sur Secondlife, chose à ajouter aux prédictions 2007.non ?
Avez vous vu un nouveau media avoir autant de retombées presse et tv ( Canal +, TF1,FR3 …) en si peu de temps ? moi non ? Alors oui c du buzz , effet de mode mais qui est en train d’exploser ( open source= possibilité de dév infini) Alors oui il faut s’y intéresser et meme passer du temps pour comprendre Second life .Alors oui les annonceurs vont y venir forcément mais peut etre vont ils etre original , écouter les joueurs ,apporter du service , se rendre utile, faire appel à des vrais pros .Alors oui ,cela va vraiment exploser et c loin d’etre un feux de paille mais plutot le début d’un jolie feux de joie !
Oui et c’est ce que l’on appelle une bulle ou un soufflet… Il est plus facile d’épater les médias avec de la réalité virtuelle plutôt qu’un mouvement de fond (les microformats ou plus généralement les standards par exemple)
> Xu : un soufflé, pas un soufflet ;-)
Second Life, je viens de l’apprendre, a également une utilisation éducative :
(l’AEF du 8 janvier, Dépêche n°73405) La même dépêche signale queMerci pour tes conclusions et tes explications que je partage assez. Que penses-tu de l’essor de Taatu ? Combien de monde virtuels possible et viable (économiquement parlant bien sûr ?)
Il est clair que LindenLab veut se positionner comme “navigateur 3D” universel (cf récente décision de mettre le client SL en licence OpenSource).
Jeu ou pas jeu ? Aujourd’hui SL ne sert à rien si ce n’est à démontrer qu’il est possible techniquement et économiquement de monter un univers 3D à capacités infinies et qui grandi tout seul. Les utilisateurs en font un peu ce qu’ils en veulent (comme il est d’usage sur le web d’ailleurs). Il y a de la concurrence certes, mais il en restera qu’un, transformé à terme en un standard pour “faire tourner” (ou “héberger” je ne sais pas) le méta-monde virtuel 3D. Les barrières que tu cites dans ta conclusion sont vraies aujourd’hui parce que justement SL est un pari sur l’avenir : “un matériel de pointe” on trouve maintenant des consoles wifi à 300€ qui permettent la prouesse “une forte motivation pour s’y mettre” grâce à la licence GPL, les clients SL à venir seront léger et adaptés au néophytes “une ambiance très folklorique (et c’est un euphémisme)” la cyber-génération montante (mdr-lol-kikoo) retrouvera ses repères dans cet excentrisme synonyme de liberté “une concurrence très active de la part d’autres univers virtuels” SL est peut être menacé, mais cette virulente concurrence montre une chose : le concept d’univers virtuel 3D en général (cf. ton intro) en sortira super gagnant.
La discussion est ouverte sur Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Discuter:Second_Life: si l’article francais n’est pas correct, pourquoi ne pas le modifier ?
Le fait que Second Life ouvre, partiellement je crois, ses sources peut être une bonne stratégie je pense. Mais je pense qu’un partage des ressources avec la possibilité pour tout le monde d’ouvrir un serveur Second life serait intéressant. Cela pose certainement des problèmes au niveau de la gestion comptable par exemple mais si on réfléchit un peu l’Argentine n’a pas beaucoup de droit de regard sur la Corée du Nord, pourtant ces deux pays sont dans le même univers, les gens peuvent passer, selon certaines conditions ou en prenant quelques risques, d’un pays à l’autre, il y a même des échanges économiques officiels. On peut imaginer des “organisations nationales” sur Second Life aussi, ou la création de planète, ou la création d’univers “virtuels” depuis Second Life (un Life Squared par exemple qui serait accessible depuis Second Life en y mettant le prix en liden ou autre monnaie d’un autre pays virtuel et qui représenterait un univers parallèle).
Merci pour ce regard sur Second Life. Pour ma part, au-delà de toute considération technique 2D, 3D et autres, je pense que Second Life est le début réel du transfert des interactions humaines (donc du social, de l’économie, etc.) de la rue vers la web, de l’atome vers le bit. Effectivement, pourquoi ne pas vivre sur le web à partir du moment où, comme tu le dis : “Faire des achats dans Second Life n’est pas plus stupide que d’acheter des cigarettes ou des sonneries de téléphone portable : c’est juste un petit plaisir solitaire dont il ne reste pas grand chose au bout du compte.” Ton point de vue donne toute crédibilité à cette prospective. Second Life n’est pas un jeu. C’est une redéfinition de la vie.
Cela dit, on s’ennuie très vite dans Second Life… Ca reste un chat en 3D, rien de plus (opinion perso)
On ne s’y ennuie pas tant que ça puisqu’en 2018 il existe encore en ayant bien grandi. On y trouve certes beaucoup moins de français participatifs que 2007, à cause du fisc français qui y a fait appliquer la TVA française, rendant ainsi donc non compétitives les propriétaires français se trouvant bien malgré eux en situation de conccurence déloyale dont ils sont les victimes. il est vrai que la France a toujours été très forte pour tuer dans l’oeuf toutes innovations qu’elle soit sociales ou réglementaires (par exemple statut des auto entrepreneurs etc…) en tuant la poule aux oeufs d’or a grand coup de taxe ou de texte réglementaires dénaturant tellement que la plupart se détournent. Dommage.