Une refonte globale de Facebook pour renforcer sa domination et préparer son expansion

La semaine dernière se tenait en Californie la conférence annuelle de Facebook. L’occasion pour son CEO de présenter sa vision et de détailler les évolutions de son écosystème. Après une année cauchemardesque, Mark Zuckerberg était attendu au tournant et le moins que l’on puisse dire est que les changements annoncés sont à la fois spectaculaires et salutaires : le repositionnement de chacune des plateformes sociales (Facebook, Instagram, Messenger, WhatsApp) apporte la lisibilité nécessaire pour rassurer les annonceurs et regagner la confiance des utilisateurs. Il y a fort à parier que la croissance de Facebook ne va pas s’arrêter, d’autant plus qu’ils ont de nombreux leviers à leur disposition.

Rappel : Facebook est le média le plus puissant de l’histoire de l’humanité

Nous sommes tous d’accord pour dire que l’année dernière a été une succession d’incroyables scandales et révélations sur les manquements de Facebook en matière de sécurisation des données et de respect de la confidentialité : The 21 (and counting) biggest Facebook scandales of 2018. De toutes ces histoires, l’affaire Cambridge Analytica fera très certainement date dans l’histoire d’internet (La confiance sera LE gros chantier numérique de l’année), bien que d’autres sombres histoires sont venues entacher la réputation de la plateforme sociale (Facebook pays teens to install VPN that spies on them) tandis que les révélations se succèdent toujours (Facebook uploaded 1.5 million people’s email contacts without permission). 😰

Tout ceci semble avoir définitivement brouillé l’image de Facebook auprès de ses utilisateurs (Nearly Half of Social Media Users View Facebook Negatively After Cambridge Analytica Scandal) et plus particulièrement des jeunes (Facebook’s biggest concern: teens are leaving, En France, 50 % des jeunes entre 16 et 18 ans n’utilisent pas ou plus Facebook). Pourtant, les statistiques publiées le mois denier racontent une autre histoire : Facebook reserves $3B for FTC fine, but keeps growing with 2.38B users in Q1. 🤔

Beaucoup ont prophétisé la fin des médias sociaux, mais la crise de croissance des grandes plateformes sociales est à relativiser. D’une part, car les utilisateurs ne sont pas forcément cohérents dans leur discours et leurs actes (Arrêtez de vous plaindre, vous avez le fil d’actus que vous méritez), et d’autre part, car de toute façon les jeunes n’ont pas officiellement accès à Facebook (l’inscription est interdite aux moins de 13 ans). Et de toute façon, ils ne voulaient pas y aller avant de peur d’y croiser leurs grands-parents et profs à la retraite. La réalité est que Facebook a su tisser une toile sociale dont il est très difficile de s’extraire, à moins de s’isoler complètement : Teens don’t use Facebook, but they can’t escape it either.

Si les déboires de Facebook pèsent sur ses résultats financiers avec un bénéfice amoindri, Facebook et ses différentes plateformes sociales cumulent plus de 2,5 milliards d’utilisateurs qui sont ravis d’alimenter la machine tous les jours : You might hate it, but Facebook Stories now has 500M users. 🤠

Pour mémoire, les grands médias du XXe siècle comme CNN ou MTV plafonnaient à 500 M de téléspectateurs, Facebook les dépasse donc de 2 MM d’utilisateurs ! Le secret de cette réussite est plutôt simple : cumuler les services pour ratisser plus large et saturer le paysage (Comment Facebook s’est transformé pour devenir le média dominant du XXIe siècle). Certes, ils ont grandement bénéficié de la généralisation des smartphones, mais le résultat est là : avec ses différentes applications, Facebook se substitue à tous les besoins couverts par les médias traditionnels.

Une position dominante qui permet à la régie publicitaire de Facebook de capter l’essentiel des revenus du secteur : les médias sociaux représentent 55% du marché publicitaire “display” en France et 63% de la croissance (source : 21ème Observatoire de l’e-pub). Un règne sans partage néanmoins entaché par un trublion qui est vite devenu une obsession pour Marc Zuckerberg, à juste titre.

L’ombre de SnapChat plane toujours et celle de Tik Tok s’agrandit

Croyez-le ou non, mais le plus gros danger qui guette Facebook n’est pas un nième scandale sur la confidentialité ou un probable démantèlement par les autorités de régulation, mais plutôt de se voir ringardiser par une autre plateforme sociale. Sur ce point-là, SnapChat est très clairement LE némésis de Facebook, sa bête noire, sa kryptonite (cf. cet article publié en 2017 : Snapchat, le pirate de la Silicon Valley qui bouleverse les médias). 👻

Vous connaissez l’histoire : Facebook est née dans une université américaine. Cette origine fait partie de l’ADN de Facebook, voilà pourquoi ils déploient autant d’énergie à fidéliser les jeunes utilisateurs (contrairement à LinkedIn par exemple dont la moyenne d’âge des utilisateurs approche des 50 ans). De plus, pour rassurer les actionnaires quant aux revenus futurs, Facebook se doit de renouveler ses utilisateurs en permanence, donc d’en recruter des nouveaux (En 2069, Facebook comprendra plus de morts de que vivants). Problème : Snapchat est l’application sociale la plus populaire auprès de la génération Z, devant Instagram (“Snapchat, c’est la télévision des millennials”). Et le pire dans cette histoire, c’est que Tik Tok vient bouleverser l’ordre établi et fragiliser encore plus la main-mise de Facebook sur les moins de 20 ans (Les moins de 13 ans plébiscitent toujours Snapchat, Instagram… et TikTok, Comment TikTok a battu Insta­gram et Snap­chat à leur propre jeu). 🙀

On disait SnapChat condamné après des résultats financiers très décevants et une nouvelle version boudée par les utilisateurs, pourtant les équipes ont su remonter la pente et livrer quelque chose d’enfin abouti : Snapchat completely rebuilt its Android app to be faster and work better with more devices. Non seulement ils viennent de publier des résultats trimestriels très encourageants (Snapchat revives growth in Q1 beat with 190M users), mais ils ont également dévoilé une feuille de route très ambitieuse avec une série de nouvelles fonctionnalités :

L’important ici n’est pas la taille de l’audience, mais la capacité d’innover. Face à Facebook et Twitter, devenus de véritables repères de haters et nids à fake news, SnapChat est de loin l’alternative la plus sexy, celle qui plait aux éditeurs de contenu (Conde Nast now has 28 shows on Snapchat, with plans for more) et aux annonceurs (Snapchat lance Commercials, son nouveau format publicitaire non-skippable). 🤑

Le véritable tour de force de SnapChat réside dans sa capacité à séduire, à raconter une histoire que l’on est prêt à croire et qui fait plaisir. Une capacité que Facebook avait perdu et dont la success story se transformait petit à petit en epic fail : Pourquoi je ne crois plus en Facebook, 10 ans après. 🧟‍♂️

Paralysé par les scandales sur la confidentialité, pressurisé par les actionnaires avides de dividendes et titillé par SnapChat et Tik Tok, Facebook avait clairement besoin d’un électrochoc pour relancer la machine, non pas qu’elle était à l’arrêt, mais que sa position dominante était menacée. Facebook a donc décidé de prendre le taureau par les cornes et de revoir sa copie.🙇‍♂️

Une cinquième refonte majeure et une feuille de route parfaitement cohérente

L’édition 2019 de la conférence F8 était l’occasion pour son patron et créateur de présenter une nouvelle stratégie : Here’s how Mark Zuckerberg sees Facebook’s new era of privacy. Autan l’affirmer d’emblée : les annonces faites démontrent une formidable capacité d’évolution (“Move fast and break things“) et une vision parfaitement cohérente de là où ils veulent emmener leurs produits :

De nombreuses choses ont été annoncées lors des deux jours d’un évènement largement commenté par les médias spécialisés (Day 1 of F8 2019: Building New Products and Features for a Privacy-Focused Social Platform). Je peux néanmoins vous en faire un rapide résumé pour que vous mesuriez bien l’ampleur de la refonte. 🧐

Il y a en premier lieu la cinquième version majeure du portail, une refonte qui accorde beaucoup plus d’importance aux groupes et aux événements : Facebook is redesigning its core app around the two parts people actually like to use.

Vous noterez que cette nouvelle version se rapproche visuellement de la version mobile :

L’onglet des groupes va donc occuper une place beaucoup plus importante avec un accès plus simple à la découverte de nouveaux groupes.

Les groupes seront également présents dès la publication d’un nouveau message :

Cette réorganisation des onglets et refonte visuelle s’accompagne de nouvelles fonctionnalités comme la recherche de nouveaux amis (Old Facebook finally wants you to ‘Meet New Friends’) et de l’âme soeur (Facebook Dating opens to friends with Secret Crush). 🥰

Instagram de son côté ambitionne de limiter la superficialité (Instagram officially tests hiding Like counts), de perfectionner son outil de publication (Instagram is launching a camera redesign and dedicated shopping tags for creators) et d’enrichir ses capacités marchandes (Instagram will now let creators and influencers sell items directly). 🐹📲💰

Beaucoup de nouveautés également pour Messenger qui veut muscler sa présence sur ordinateurs et proposer toujours plus de fonctionnalités (Facebook Messenger will get desktop apps, co-watching, emoji status). Le rôle des chatbots va également être renforcé pour pouvoir se rapprocher de celui des assistants personnels de Google ou Amazon : Facebook Messenger bots can now book appointments. 🤖

WhatsApp n’est pas en reste avec la possibilité pour les commerçants d’afficher leur catalogue et d’encaisser des règlements (WhatsApp future vision: ‘Private commerce’ and payments). 💇🏻‍♀️🤳🏻💶

Il y a également eu des annonces concernant Workplace, la solution de collaboration (Workplace, Facebook’s enterprise edition, gets a reboot to boost activity and cut down on noise) et Portal, l’écran connecté (Facebook takes its Portal international, adds WhatsApp, Facebook Live support).

La seconde journée de l’évènement était consacrée à des sujets plus techniques comme le machine learning ou plus prospectifs comme la réalité augmentée et virtuelle (Day 2 of F8 2019: Advances in Computer Vision, Inclusive AI and Other Highlights). Sur ce dernier point, Facebook a officiellement annoncé le lancement de la nouvelle version de son casque de réalité virtuelle, celle qui ne nécessite pas d’ordinateur donc qui simplifie grandement la prise en main (Review: Oculus Quest could be the Nintendo Switch of VR).

Cette deuxième journée a l’été l’occasion pour les équipes de faire une nouvelle démonstration des avatars ultra-réalistes rendus possibles grâce aux capteurs internes des masques (Facebook can make VR avatars look and move exactly like you).

Un niveau de réalisme qui n’est pas forcément mis en oeuvre dans les applications de social VR pour lesquelles Facebook / Oculus commence à prendre une sacrée longueur d’avance. 🤓

Comme vous pouvez le constater, ils ont mis les bouchées doubles pour sortir Facebook de cette mauvaise passe et éviter une forme de régulation anticipée de la part de gouvernements qui ne maitrisent pas forcément tous les aspects (Regulating Facebook will be one of the greatest challenges in human history). 👨🏻‍🎓

Mais le plus intéressant dans tout ça est qu’ils ont d’autres chantiers en cours :

Très clairement, les annonces faites la semaine ne sont que la partie visible de l’iceberg, car leur ambition ne se limite pas aux médias sociaux. 🦈

Facebook est sur tous les fronts, et ils pourraient bien réussir

Si l’on fait le compte de tout ce qui a été annoncé la semaine dernière, il semble évident que Facebook c’est lancé dans une stratégie défensive très agressive. Comprenez par là qu’ils mobilisent énormément de ressources pour élever des barrières à l’entrée et compliquer la tâche des plateformes sociales concurrentes qui tentent de lui grappiller des parts d’audience. 🐜

Je me suis amusé à dresser la liste des fonctionnalités existantes ou nouvelles correspondant à un concurrent potentiel :

Oui je sais, la liste est longue. Cette diversification à outrance qui pourrait potentiellement fragiliser les positions déjà acquises, sauf que Facebook dispose d’une très grosse force de frappe avec des équipes à la pointe et une très grosse trésorerie alimentée par des bénéfices conséquents. Pour réussir à élever des barrières à l’entrée sur tous ces aspects sociaux, il ne leur manque plus que le soutien indéfectible des actionnaires afin de se lancer dans une concurrence totale. Et c’était justement le but de cette conférence : regagner la confiance des actionnaires et mobiliser les troupes. 💪🏻

Une bataille pour l’audience qui va faire de la casse

Au cas où vous en douteriez, l’année 2019 risque d’être sanglante, pour tous les acteurs en place. D’une part, car SnapChat et Tik Tok représentent une menace toujours aussi forte sur le segment des ados ; d’autre part, car les autres plateformes sociales continuent de progresser et de consolider leurs positions : Twitter Q1 flies past estimates with sales of $787M and EPS of $0.25 et YouTube crosses 2 billion viewers a month, YouTube confirms plans to make Originals available for free et YouTube Music Is Now Free on Google Home Speakers. 😡

Dans cette histoire, ce sont certainement les médias traditionnels qui souffriront le plus dans la mesure où leur offre n’évoluent plus (L’effritement se confirme pour la télévision, La fréquentation des cinémas dans l’UE diminue) et qu’ils semblent incapables de se remettre en question (Les médias sont sensationnalistes et biaisés, pour la plupart des Français). 🤢🤮

Quand on y réfléchit bien, le seul média capable de rivaliser avec les médias sociaux est le jeu vidéo (Gaming : Des français toujours plus accros). D’autant plus que l’industrie semble avoir trouvé une recette à succès : Fortnite Is the Future, but Probably Not for the Reasons You Think. 🕹🎮👾

Les jeux vidéos plus forts que les médias sociaux ? Non, ça serait un raccourci grossier. En revanche, les jeux vidéos et médias sociaux sont très clairement les fossoyeurs des médias traditionnels. Si vous en doutez encore, c’est que vous y mettez vraiment de la mauvaise volonté…