Les médias sociaux victimes de la transformation digitale de la géopolitique

Avant le confinement, des plateformes sociales comme Facebook ou YouTube étaient déjà les médias les plus puissants de l’histoire de l’humanité avec une audience dépassant les deux milliards d’individus. Aujourd’hui, avec les habitudes prises pendant le confinement, ces plateformes sont encore plus puissantes. De ce fait, elles agrègent tout ce qui compose le paysage médiatique : le meilleur comme le pire. Sauf qu’en cette période trouble, c’est surtout le pire qui ressort. Les médias sociaux sont ainsi devenus le reflet d’une société divisée et surtout le terrain de jeu favori de personnalités politiques et d’activistes en quête de coups d’éclat. Une course au sensationnalisme gangrenée par l’agressivité et les discours clivants qui déborde même sur les relations internationales et le jeu politique des grandes puissances. Signe de temps ? Assurément !

Il y a encore quelques semaines, les médias sociaux étaient notre bouffée d’air frais dans un quotidien confiné, un moyen de s’évader : Le temps passé sur Internet et les réseaux sociaux a explosé pendant le confinement. Ce temps est maintenant révolu puisque tout le monde est censé avoir repris le travail. Cette reprise est néanmoins placée sous le signe d’une nouvelle normalité où les outils et supports numériques sont plus présents que jamais dans notre quotidien (Panorama des médias sociaux 2020). D’autant plus que les médias traditionnels souffrent d’une forte baisse des revenus publicitaires et d’une désaffection du public (Médias : le niveau de confiance est au plus bas…).

Les supports numériques, et plus particulièrement les médias sociaux, sont officiellement devenus la première source d’information. Une assertion confirmée par le récent Digital News Report de Reuters : Executive Summary and Key Findings of the 2020 Report.

Bonne nouvelle ? Pas vraiment, car les discussions s’enveniment.

Une radicalisation des publications et des débats

À l’avant-garde de ces “nouveaux médias”, on trouve bien évidemment Facebook, Twitter ou encore YouTube avec des formats tout à fait intéressants comme ceux proposés par Brut ou HugoDécrypte. Mais les tranches les plus jeunes ont développé des habitudes sur d’autres plateformes : Instagram ‘will overtake Twitter as a news source’, Snapchat to deliver breaking news et Le Monde sur TikTok : la même info, de nouveaux codes.

Face à une tel engouement, les activistes et lobbies du monde entier s’en sont naturellement emparés pour augmenter la portée de leurs actions et discours :

Je veux bien croire que nous traversons en ce moment une période trouble, propice à la contestation, mais ce phénomène de radicalisation des débats sur les médias sociaux avait déjà été constaté l’année dernière :

Encore plus inquiétant, nous commençons à observer des dérives sectaires à grande échelle :

S’il est pour le moment trop tôt pour prendre du recul et proposer des explications rationnelles à ce phénomène, il est néanmoins possible d’en tracer l’historique et de constater une évolution néfaste.

La politique “alternative” et les discours haineux s’invitent en masse sur les médias sociaux

Précisons avant toute chose que les médias sociaux ont toujours été exploités par les partis politiques, lobbies et groupes de pression. Ceci étant dit, la place centrale que les médias sociaux occupent dans notre quotidien en font maintenant le canal privilégié des actions politiques ou contestataires. De ce fait, une forte pression a été mise sur les grandes plateformes pour qu’elles mettent en place des moyens de lutte contre les fake news et de valorisations des sources fiables :

Facebook, Twitter et YouTube n’ont ainsi pas ménagé leurs efforts pour faire le tri, voir le ménage dans ce brouhaha. Une tâche délicate, car certains individus et groupes sont particulièrement motivés, et parce que les plateformes sociales doivent aussi faire face à des opérations de propagande / désinformation / espionnage pilotées par des puissances étrangères :

Plus récemment, avec la montée en puissance de la campagne électorale US, le phénomène a pris une telle ampleur que les plateformes sociales ont dû prendre position (en clair : choisir un camp) par rapport à ces nombreuses publications et débats à caractère politique :

Une situation particulièrement malsaine dans la mesure où les débats et discours haineux se sont exportés sur d’autres plateformes :

Je ne sais pas pour vous, mais je trouve cette situation particulièrement déplorable, d’autant plus que les activistes politiques s’emparent de plateformes sociales touchant des audiences jeunes et donc influençables. Je sais bien que ce n’est pas nouveau et que des supports comme le forum 18-25 de JeuxVideo.com est depuis longtemps noyauté par des extrémistes, mais là nous parlons de comptes officiels qui publient et recrutent sur des plateformes rassemblant des centaines de millions de jeunes (SnapChat, TikTok, Twitch…).

Mais le pire dans cette histoire est qu’avec les événements récents, nous avons franchi un nouveau cap…

Le numérique devient un levier géopolitique

Nous savions déjà que les rivalités industrielles entre les nations dominantes ne concernaient plus des secteurs comme l’énergie ou l’automobile, mais l’intelligence artificielle ou les télécommunications (ex : le boycott des équipements Huawei par l’administration US). Ces derniers temps, nous pouvons constater une intensification du jeu géopolitique sur les supports numériques, aussi bien en Asie qu’en Amérique du Sud :

Un jeu dangereux auquel s’adonnent maintenant des influenceurs, comme ce récent clash entre YouTubeurs et TikTokeurs indiens (rappelons que la maison-mère de TikTok, ByteDance est une société chinoise) : In India, the YouTube-TikTok Rivalry Turns Nasty.

Une querelle digne de la télé-réalité, mais qui prend une tout autre tournure maintenant que la tension monte entre l’Inde et la Chine :

Lors de la Seconde Guerre mondiale, les pays en guerre s’invectivaient par journaux interposés et larguaient des tracts par avion au-dessus des lignes ennemies. Aujourd’hui, ils utilisent les médias sociaux et les applications mobiles. Une situation bien triste, car ces outils de communication étaient à la base censés nous aider à réduire la distance et à mieux nous comprendre

Le numérique est le nouvel ennemi public N°1

Conséquence logique de ces dérives : les annonceurs se retirent, car ils ont peur pour leur image (Coca-Cola, Starbucks and Unilever join growing Facebook ad boycott). C’est très clairement un mauvais signe, à la fois pour l’industrie publicitaire, mais également pour le commerce et l’économie en général.

Le problème est que l’on est maintenant tenté de jeter le bébé avec l’eau du bain. Illustration flagrante avec les hésitations de certaines grandes villes à déployer la dernière génération de réseaux telecom (Bordeaux : le nouveau maire veut un débat sur “les dangers de la 5G”) ou à interdir les technologies de reconnaissance faciale (Boston just became the latest city to ban use of facial recognition technology). Difficile pour le moment de dire si ce ne sont que des tactiques électorales ou si ces interdictions reposent sur des convictions légitimes…

Entendons-nous bien, je ne suis pas un apôtre du transhumanisme, surtout s’il y a des dérives manifestes (Michigan Is Trying to Make It Illegal For Companies to Put Microchips in Their Employees), mais je pense que l’heure est plus à la réflexion qu’à l’interdiction : Il est urgent de réfléchir aux fondamentaux d’une nouvelle société numérique.

J’avais déjà abordé le sujet l’an dernier (De la nécessité d’un nouveau contrat social pour homo numericus) et je réitère mes convictions : Il nous faut impérativement ouvrir une réflexion publique sur l’évolution de notre société, notamment à travers ses médias (numériques), afin de sensibiliser l’opinion publique et aborder sereinement la transformation digitale de notre quotidien. Pour le moment, les efforts se portent sur la prévention à destination des enfants (ex : campagnes contre le cyber-harcèlement), mais quid des adultes, ceux qui votent ?

Encore une fois, les tentatives de manipulation et dérives ont toujours existé, mais là elles se font en plein jour, sur des supports à très grande audience et dans un contexte extrêmement tendu. Un ensemble de circonstances qui peuvent vite faire dégénérer la situation et nous faire basculer au choix dans une guerre civile, un nouveau confit international ou un “hiver numérique”.

Ce qui est certain, c’est que personne ne peut plus nier le rôle majeur joué par les outils et supports numériques dans la transformation de notre société. Quel dommage que ceci se fasse dans un contexte aussi chaotique et à des fins aussi médiocres…

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