De la nécessité d’un nouveau contrat social pour homo numericus

Comme la théorie de l’évolution de Charles Darwin le démontre, l’espèce dominante n’est pas la plus rapide ou la plus forte, mais celle qui s’adapte le plus vite à son environnement. La plus grande force de l’espèce humaine est ainsi sa faculté d’adaptation, mais avec le numérique, il semble que cette force ai atteint ses limites.

Avec l’avènement du numérique, nous sommes à un tournant de l’histoire de l’homme, car suite à une généralisation trop rapide des NTIC, l’humanité est comme une grande famille dysfonctionnelle dont les membres ne parviennent plus à se parler (il suffit pour s’en convaincre de constater les torrents de haine qui sont déversés dans Twitter) et qui engendre des courants régressistes (climatosceptiques, platistes, anti-vax…). Peut-être serait-il temps d’envisager un reboot…

Cela fait un certain nombre de mois que l’on voit passer des articles tous plus alarmistes les uns que les autres sur les dangers des écrans, devant lesquels nous passons entre 5 et 6 h par jour, hors temps de travail. La dernière publication en date sur ce sujet est le livre de Michel Desmurget, docteur en neuroscience et directeur d’une équipe de recherche sur la plasticité cérébrale, avec un livre équivoque : La Fabrique du crétin digital (interview ici : Dangers du numérique – « Nous assistons à l’effondrement du langage »). Le discours de l’auteur est sans surprises et très bien documenté, mais ce qui m’a intrigué, c’est sa mise en abime par rapport à l’histoire de l’humanité.

Un tournant dans l’évolution de l’hominidé

Pour faire court, l’humain en tant qu’espèce est passé par différents stades d’évolution :

  • Australopithèque, l’ancêtre commun qui présentait des capacités intellectuelles et motrices limitées ;
  • Homo habilis, l’homme “habile” qui savait confectionner et se servir de premiers outils comme les pierres taillées ;
  • Homo ergaster, l’homme “artisan” qui a su domestiquer le feu et l’agriculture ;
  • Homo sapiens, l’homme “savant” qui a commencé à accumuler des savoirs pour développer les sciences et techniques modernes.

L’homme moderne est donc né il y a moins de 200.000 ans, quelque part entre l’Afrique et le Proche-Orient. À l’échelle de l’humanité, ça ne représente pas grand-chose, mais quand on constate les bouleversements introduits par la quatrième révolution industrielle, on se dit qu’il serait temps de mettre à jour cette frise de l’évolution.

Cela fait plusieurs décennies que l’homme sait voyager dans l’espace, plus récemment il a réussi à concevoir et implanter des coeurs artificiels ou à bâtir des tours de 1 km de haut. Les progrès technologiques sont indéniables, mais cela ne justifie pas forcément un nouveau stade d’évolution. En revanche, nous commençons à constater des évolutions du corps humain avec notamment l’allongement des doigts (calqué sur l’agrandissement des tailles des écrans des smartphones) ou les répercussions hormonales des perturbateurs endocriniens (morphologies atypiques chez les ados et pré-ados). Il faut également aborder l’impact psychologique des smartphones dont le niveau de charge devient une préoccupation quotidienne (Battery icons shape perceptions of time and space and define user identities) ou qui affecte irrémédiablement notre sommeil et capacité de concentration (Demain, serons-nous trop abrutis pour lire ?). Autre conséquence collatérale de la prépondérance des écrans dans notre quotidien : l’alimentation beaucoup trop riche des occidentaux (favorisée par la mode du fooding, les applications de livraison de repas…) et le manque d’activité physique (nous passons une très grande partie de la journée en position assise).

Bref, il est très loin le temps des chasseurs-cueilleurs, d’autant plus avec la possibilité de se faire livrer un Big Mac grâce à Deliveroo ! Je suis persuadé qu’avec l’avènement du numérique nous rentrons dans une nouvelle phase du développement de l’hominidé : celle de l’homo numericus. Une réflexion qui n’est pas nouvelle, car les premiers articles à ce sujet remontent au début des années 2010 dans les revues scientifiques ou philosophiques : De l’homo Sapiens à l’homo Numericus, L’avènement de l’Homo numericus ou Homo numericus, la révolution Internet a eu lieu. Il existe même un dossier publié par l’INRIA : De l’Homo numericus au citoyen numérique.

Tous ces articles font référence à la part croissante des NTIC dans notre quotidien et la dépendance que nous développons petit à petit avec le web. Mais ça, c’était avant. Avant que ne se généralisent les smartphones (4 MM d’unités en circulation), les médias sociaux (2,5 MM de membres de Facebook) et que de nouvelles catégories d’outils numériques envahissent notre quotidien : Sommes-nous à la veille d’un nouveau paradigme numérique ?

Le smartphone est le silex de l’homme moderne

D’après le baromètre du numérique, le taux d’équipement en ordinateurs avoisine les 80%. Un pourcentage élevé qui n’alarme personne dans la mesure où un ordinateur est un outil que l’on allume et que l’on éteint selon ses besoins ou envies. En revanche, avec les smartphones, c’est une autre histoire, car une bonne partie des utilisateurs ne l’éteint jamais.

J’ai déjà eu de nombreuses occasions de m’exprimer sur son rôle dans la transformation numérique (Statistiques sur l’accélération de la transformation digitale et la dette numérique) et je persiste dans cette pensée : le smartphone est un outil d’une incroyable puissance, très polyvalent, qui a la capacité de changer les rapports de force. En maîtrisant la taille de la pierre, Homo habilis a pu se fabriquer des outils, des armes et maitriser le feu (notamment grâce au silex). Équipé d’un smartphone, Homo sapiens est capable de décupler ses capacités, il est omniscient et omnipotent : il sait tout (accès à une infinité de contenus) et il peut tout (accès à d’innombrables services en ligne).

À la fois outil d’émancipation, mais également d’asservissement, le smartphone est l’icône du 21e siècle, pour le meilleur et pour le pire. Si l’homme a su domestiquer le feu, quelle est la part de la population qui maitrise son smartphone (le matériel, mais également les applications et leurs fonctionnements / limites / dérives potentielles) ? Un levier majeur de transformation dont il faut apprendre à se méfier. C’est d’ailleurs le thème de la dernière campagne de notre opérateur nationale :

Le smartphone a indéniablement bouleversé notre quotidien en tant que consommateur, salarié, citoyen… mais il a également chamboulé l’ordre établi d’un point de vue micro et macro-économique en mettant une incroyable pression sur les acteurs historiques.

Médias et distributeurs traditionnels sont les mammouths du 21e siècle numérique

En prolongeant la métaphore de la préhistoire, nous pourrions comparer les mammouths aux institutions (ex : chaînes de TV) et organisations (ex : Kodak, ToysRUs) qui n’ont pas su s’adapter suffisamment rapidement pour survivre face à une espèce en pleine émancipation. L’utilisation de lances ou de haches fabriquées par Homo habilis a ainsi considérablement changé le rapport de force avec les grands mammifères, dont les mammouths qui sont devenus des proies. Par analogie, Nous avons tous été témoin d’un bouleversement équivalent avec le succès fulgurant de Uber : Homo numericus avec son smartphone a su inverser le rapport de force vis-à-vis des grandes compagnies de taxi et imposer sa volonté.

Vous noterez que ce bouleversement s’applique aussi aux gouvernements comme nous l’avons vu récemment avec les manifestants de Hong-Kong : How social media is shaping what people know — and don’t know — about the Hong Kong protests et Securing smartphones is now a priority for Hong Kong protesters.

Encore une fois, je pense que nous sous-estimons largement l’impact du smartphone sur notre vie quotidienne, et plus généralement l’impact du numérique sur la société dans laquelle nous vivons maintenant.

Nouveau siècle = nouvelles façons de travailler

Nous sommes en plein coeur de la quatrième révolution industrielle, celle qui a été initiée par le numérique et est maintenant stimulée par l’intelligence artificielle. Nous ne pouvons pas indéfiniment continuer à faire comme si rien n’avait changé, il en va de notre responsabilité d’accepter cette réalité et de s’y adapter : mondialisation des échanges, environnement VUCA, hyper-compétitivité induite par les plateformes numériques… sont autant de facteurs d’évolution que l’on ne peut plus ignorer. Je ne souhaite pas relancer le débat sur le bienfondé du mouvement des Gilets Jaunes, mais il faut se rendre à l’évidence : ils tentent de défendre un modèle anachronique. Si même Amazon investit lourdement pour mettre à niveau ses employés (Amazon is going to train 100,000 workers in these 6 areas of tech), ce n’est pas en bloquant des ronds-point que l’on va relever les défis du 21e siècle.

Comme cela a été fort justement expliqué par Nicolas Colin dans son dernier livre (Hedge: Inventing a New Safety Net), le contrat de travail à durée indéterminé est un outil de productivité hérité de l’ère industrielle : en l’échange de 40 h / semaine de dur labeur, les ouvriers bénéficiaient d’un salaire fixe et d’une protection sociale. Les contrats de type CDI / CDD ont parfaitement fonctionné au cours des 19e et 20e siècles, mais nous sommes maintenant dans une économie qui repose essentiellement sur les services (le secteur tertiaire représente près de 80% des emplois et de la valeur). Il est maintenant largement temps de remettre en cause l’hégémonie de ces contrats de travail et de commencer à réfléchir à une évolution majeure (lire à ce sujet : Future of Work, The new bundle is being invented as we speak.

Vous noterez d’ailleurs que nous venons de franchir un cap décisif avec l’adoption récente de l’amendement AB5 aux États-Unis : California passes landmark gig workers’ rights bill, here’s what that means et The end of an era for the gig economy. Avec la nomination récente de Margrethe Vestager au poste de vice-président de la commission Européenne, également en charge du numérique, et de Mariya Gabriel qui récupère le portefeuille de l’innovation, les choses risquent de bouger très vite dans l’UE : L’heure de l’Europe de l’innovation aurait-elle sonné ?

Et si la réponse ne vient pas du législateur, peut-être qu’elle viendra de l’interne sous la forme d’actions néo-syndicales : Comment faire grève à l’ère des plateformes ?

Bref, tout ça pour dire que si nous voulons préserver la compétitivité de notre économie tout en évitant une trop forte concentration des richesses il nous faut d’autres outils professionnels, à commencer par des contrats de travail plus souples et plus en phase avec la réalité du marché. Mais la réflexion ne devrait pas s’arrêter là et se généraliser à tous les aspects de notre quotidien.

Nouveau siècle = nouveaux modes de vie

Le numérique a profondément modifié les médias, la distribution, les transports, les divertissements, l’éducation, la santé… En résumé : le numérique et plus particulièrement le smartphone ont irrémédiablement transformé notre vie quotidienne, c’est d’ailleurs pour cela que l’on parle tant de transformation digitale. Outre le fait de nous offrir un accès permanent à une infinité de contenus et services, le numérique nous permet surtout de nous affranchir des contraintes d’espace et de temps. Sous cet angle, on se rend compte que la configuration actuelle des territoires (un centre-ville avec des petits commerces de détail, une zone industrielle ou d’activités professionnelles, des logements individuels et centres commerciaux en périphérie…) est un héritage du 20e siècle qui ne correspond plus aux usages et contraintes actuels : Repenser la ville pour l’artisanat.

Les hommes modernes (appelons-les “Homo numericus”) ne vivent plus en tribus isolées dans des grottes, ils se concentrent dans des grandes métropoles incroyablement denses et organisent leur vie quotidienne à l’aide de téléphones électroniques (appelons-les des “smartphones”). Que cela vous plaise ou non, c’est la configuration de référence, celle qui concerne la majorité des habitants de la planète et représente près de 80% de la population française. Là encore, inutile de lutter, il faut s’adapter à cette nouvelle réalité pour faciliter le quotidien des habitants, comme c’est d’ailleurs le cas dans les gigantesques métropoles chinoises où l’on s’efforce d’anticiper la fin du règne de la voiture, mais également plus près de chez nous en Espagne : Barcelona’s radical plan to take back streets from cars.

À la croisée de toutes ces réflexions, se situent les espaces de co-living et de co-working. La refonte de l’environnement de travail est un sujet qui me tient à coeur, que j’avais déjà abordé il y a de nombreuses années (Pourquoi le télétravail est bon pour la collaboration) et que j’ai reformulé plus récemment : Les nouveaux temples de la création de valeur sont les espaces de coworking.

Au-delà de la dimension foncière et de l’aménagement du territoire, il faut également revoir les fondamentaux de notre société, pour pouvoir adopter des modes de vie plus durables (alimentation, transports…) et surtout pour définir un modèle de cohabitation apaisée entre l’homme et la machine : Il est urgent de réfléchir aux fondamentaux d’une nouvelle société numérique. Une cohabitation que l’on retrouve aujourd’hui dans les médias (sélection algorithmique des contenus, robot-journalistes), au travail (automates numériques et intelligences artificielles), dans la rue (drones de livraison et véhicules semi-autonomes), dans les villes (gestion automatisée de l’éclairage et de la consommation de ressources)…

Cette idée de cohabitation peut vous faire sourire, mais elle part du constat dramatique qu’aujourd’hui nous sommes face à un phénomène de rejet massif : rejet de l’autre (le raciste, la machiste, le féministe, l’extrémiste, le pollueur, le jeune, le vieux…) et rejet de la technologie (les contenus numériques assimilés à des fake news, les services en ligne considérés comme des outils de surveillance massive, ou les intelligences artificielles qui font peur à tout le monde, mais dont paradoxalement personne n’a une réelle connaissance des capacités et limites).

C’est en cela que j’écrivais dans l’introduction de cet article que notre société était comme une famille dysfonctionnelle, une société qui ne fonctionne plus. Voilà pourquoi je parle de nouveau contrat social : un contrat ou un modèle pour réapprendre à vivre dans une société majoritairement numérique dont nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer les changements. Autant vous dire qu’il y a du pain sur la planche…

17 commentaires sur “De la nécessité d’un nouveau contrat social pour homo numericus

  1. Article très intéressant.
    La posture biologique ne me semble pas la bonne.
    Nous vivons juste la fin de la Fin de l’Histoire, et la remise en question de ce que nous avions pris pour des invariants est le signe d’une rupture civilisationnelle.
    Je ne parierais pas sur la décadence (désirée plus que crainte par les conservateurs) ni sur la fin de l’humanité (malgré nos capacités de destruction et notre impact sur nos conditions de vie), par contre une sortie par le haut nécessite en effet une réorganisation et une représentation mentale de ce qui est plus général et à la base de la notion de _contrat social_ qui ne témoigne pas d’un dynamisme.
    Il s’agit d’une révolution cognitive avec laquelle nous manquons d’outils, et comme toujours elle est subie et peu voulue. Dans le même temps nous avons produits justement énormément d’outils de compréhension du monde, nous avons des capacités d’expérimentation très puissantes… pour l’instant ça ne cristallise pas et surtout je crois qu’il existe une économie de l’influence qui n’est pas encore touchée par les changements actuels, et qui ne peut les concevoir que comme marginaux ; la Fin de l’Histoire est encore très présente dans les communications institutionnelles.

    1. Je suis tout à fait d’accord sur plusieurs points :
      – “une rupture civilisationnelle”, oui c’est pour moi la bascule vers le 21e siècle numérique
      – “une représentation mentale”, oui une sorte de schéma sur la société que l’on souhaite (re)définir
      – “une révolution cognitive avec laquelle nous manquons d’outils”, carrément, surtout avec le déluge de notification et le culte de l’instantanéité / du live, nous avons le plus grand mal à prendre de la hauteur pour mieux comprendre les changements et événements en cours
      – “nous avons produits énormément d’outils de compréhension du monde”, oui notamment les outils d’analyse de big data et de machine learning, mais qui concentre cette faculté chez les GAFAM-BATHX ou sociétés numériques

      Au final, ce n’est pas tant la Fin de l’Histoire, que la fin d’une page de l’histoire de l’humanité.

      1. Je parle justement de fin de Fin de l’Histoire, c’est à dire de la fin d’une croyance en monde advenu, qui a débouché chez les penseurs conservateurs à la notion de Choc des Civilisations quand ils ont vu que ça ne tenait pas la route, avec l’idée que le dynamisme ne pouvait être que l’oeuvre de puissances étrangères ou de complots malveillants.
        En ce qui concerne la révolution cognitive il faut regarder aussi les travaux de sociologues, de biologistes, de chimistes, d’économistes du terrain… en réalité tout converge de manière assez sureprenante. Même en littérature, quand on lit Vila Matas on sent bien que les questions qui sont mises en relief par le numérique et la révolution du support de l’information sont posées en réalité déjà par ailleurs et très concrètement. Je vois une grande cohérence dans toutes les dynamiques sociales.

  2. – Les gilets jaunes sont dans le présent, ils n’arrivent pas à boucler leur fin de mois, peu importe l’impact du numérique… ils sont les perdants de la mondialisation comme on dit…
    – Le numérique, l’automatisation, la robotisation va être le déclencheur d’un mouvement plus important que celui des gilets jaunes car le travail sera très rare… peu importe le contrat de travail…
    – La technologie/automatisation/robotisation est destructeur d’emploi.. oui oui on va me sortir la fameuse loi de la “destruction créatrice” qui va nous sauver de tout ça.. oui oui.. bien sûre, c’est beau les rêves…
    – Le “numérique” à toujours essayé d’industrialiser à outrance, à finalement réussit à minimiser les coûts dans presque tous les domaines, donc augmenter la productivité..

    Mais le plus important c’est que le “numérique” standardise nos façons de vivre, on ne va pas vers un homo numericus comme tu le dis, mais vers un homo standardicus, bien contrôlé par la techno, “bien pensante” évidement!!!!!, de toute façon vu le niveau de la jeunesse il est certain que penser sera trop difficile… il préféreront de loin suivre l’IA bien veillante ;)

    Vous le voyez bien tous non VOUS qui êtes derriere votre écran à faire dans votre boulot exactement la même chose que vos collègues ou ceux d’autres boites ! Suivre la méthodologie en place qui de toute façon tend à être la même partout… même dans votre vie en dehors du boulot comme tout le monde vous utilisez tous les mêmes applis, vous regardez en masse des vidéos débile sur youtube… vous détestez les gilets jaunes, vous adorez TedX car vous pensez en 20 min apprendre des choses tellement disruptif et progressiste que vous vous sentez bien le soir moins débile chez vous..

    homo standardicus vous êtes l’avenir ;)

    1. Je n’ai pas cette vision négative des services en ligne, d’ailleurs je me suis expliqué sur ce sujet. En revanche, faire cohabiter humains et robots pose la question de la fiscalité, un casse-tête qui devrait déjà être à l’ordre du jour du Conseil des Ministres.

    2. Le mouvement des gilets jaunes me semble au contraire particulièrement en phase avec des pressions sur nos organisations hiérarchiques centralisées et verticalisées héritées de l’ère industrielle. Ils sont les perdants du capitalisme, du nationalisme et de l’industrie comme… personne ne le dit, hélas.
      Le numérique permet beaucoup plus de subsidiarité, en cohérence avec une démocratisation concrète et matérielle des moyens (économiques, techniques, organisationnels, culturels). Les systèmes à logique centralisatrice sont nécessairement en réaction vis à vis de ces poussées, c’est leur rôle et il ne faut donc pas trop compter sur eux pour défendre nos intérêts particuliers.
      Le numérique et la robotisation ne remettent pas en cause le travail mais, éventuellement, l’emploi, qui est quel chose de récent comme le rappelle l’article. Les réorganisations sociales feront nécessairement ressortir des formes de travail qu’aujourd’hui nous ne considérons pas comme telles. Là encore nos intérêts particuliers ne vont pas dans le sens d’une conservation du système actuel : les gens travaillent et globalement veulent travailler.
      Il me semble ainsi que nous en sommes à un phénomène de niveau d’efficacité de l’industrie qui provoque le déplacement de la création de valeur, la reproduction du même industrielle n’est plus un espace politique: nous savons faire. Mais en fait remplacer des gens qui font un travail de machines par des machines peut (devrait ?) être considéré comme une opportunité d’émancipation. En effet le processus industriel à tendance à soumettre les personnes à cette standardisation, ces procédures et méthodologies que vous semblez condamner… mais la solution c’est donc la post-industrie (un retour à l’artisanat et une économie territoruale, en plus de ne pas être très attirant ni très probable, ne provoquerait qu’un retour à l’industrie).
      Le risque c’est le glissement autoritaire, la rigidification sur des valeurs si lointaines (en gros 12è siècle) que nous les croyons éternelles, l’accentuation de l’oppression des plus faibles en espérant ne pas finir par en faire partie, en croyant être plus méritants que les “perdants”. Le risque c’est de conserver des systèmes sociaux obsolètes en calculant mal ses intérêts.

      1. On peut constater que le numérique à renforcé le capitalisme et la mondialisation. Le numérique n’est qu’un outil, dans le médical il est plutôt bien venu, dans le monde du travail c’est plutôt l’ennemi…
        Et pour l’instant la décentralisation que permet le numérique renforce d’avantage la précarité avec l’ubersisation du travail (et ce n’est qu’un début).
        Je veux dire par là que oui le numérique peut être l’outil de changement radical de nos sociétés, mais il est certain qu’on va passer par une phase de grande crise avant de se poser les bonnes questions.

        La “tokenisation” est vraiment une “technologie” à suivre dans le sens où la bataille des autorités à vouloir la “contrôler” en dira long sur le type de société à venir.

    3. 100 % d’accord ! L’homo standardicus fut déjà, est et sera. Quant aux « contrats de travail plus souples et plus en phase avec la réalité du marché ». On y retrouve l’ expression archaïque de : « réalité du marché ».

  3. Article très intéressant, comme d’habitude. Je pense ici que le point-clé c’est la montée de l’abrutissement (ou crétinisation) mais j’ai une analyse un peu différent : je ne crois pas que ça soit la faute de la technologie. C’est comme d’accuser les méfaits de la télévision désignant le tube cathodique comme cause alors que c’est le contenu des programmes qui est la source du problème.
    Même dans le cas des smartphones, il ne faut pas négliger l’influence des médias qui donnent le ton sur ce qu’il “faut” faire (pour être cool, pour être dans le coup…) avec son assistant numérique.
    Et puis, même s’il n’y avait pas l’influence néfaste des médias, 90% des gens feraient de toutes les façons les mauvais choix car c’est la nature humaine profonde que de faire des conneries et de se comporter comme des abrutis, les exemples quotidiens sont légions pour nous le rappeler, hélas.

    1. Personnellement je pense que le terme “abrutissement” est le bon puisqu’il s’agit d’une transformation des personnes en brutes. Cela englobe ce qu’on nomme vite la “haine” sur les réseaux sociaux (et qui n’est qu’une imitation des échanges vus à la télévision, seul exemple institutionnalisé d’espace de débat puisque notamment l’école, et particulièrement en France, l’échange est censuré et l’oralité marginalisée) mais aussi tous les comportements de rigidification et de déchirement sur des commandements contradictoires entre nouvelles valeurs et valeurs traditionnelles. Notamment j’utilise ce mot à la place de “radicalisation” qui sous-entend un engagement politique ou au moins l’inscription dans une orientation… il n’y a pas cela dans l’abrutissement et cela permet de le distinguer de ce qui est de l’ordre de la radicalisation.
      La révolution cognitive dont il est question ici nous rend impuissant en moyens symboliques, il ne reste plus alors qu’un sentiment de violence et d’agression, d’abord subies et donc rendues.
      A titre personnel je rencontre de plus en plus de comportements de rigidification, des postures de combat, au sein même des entreprises et à petite échelle.

      1. Oui oui, des comportements toujours plus agressifs, et surtout une forme de non-dialogue où l’on va tout de suite au clash et à cette fameuse posture de combat. Quelle ironie dans la mesure où nous n’avons jamais eu accès à des moyens de communication aussi performants et peu chères, tout ça pour ça !

      2. @Fred> Justement les espaces d’échange étaient rares, et notre conditionnement social et notre éducation étaient efficaces relativement à cette rareté. Si on regarde notre système d’instruction institutionnel, pour l’instant, sa seule manière de proposer une façon d’appréhender les choses c’est par une approche ascétique ou parfois la censure… ce qui est en contradiction avec l’abondance concrète et matérielle.
        En fait nous considérons à tort que la morale se construit sur des principes abstraits, des intentions, ou pour certains des commandements divins, alors qu’en réalité il s’agit d’une boucle de rétroaction du monde matériel sur une échelle transgénérationnelle. Pour l’instant l’abondance de moyens de communication est perçue comme “mauvaise” en soi et cette perception est renforcée par les faits puisque notre conditionnement social n’y est pas adapté… seulement le diagnostic de désorganisation serait erroné (et a priori nous sommes d’accord au vu de ton article), il faut parler de réorganisation.
        Tu parles de nouveau contrat social, et c’est exactement de cela qu’il s’agit. Tu proposes un discours positif et concret qui peut rassurer des personnes, et je pense que c’est important de le faire, cependant il me semble qu’il faut atteindre des représentations plus centrales et plus profondes… et peut-être, en France au moins puisque certains disent qu’il s’agit là d’une spécificité française, des représentations plus “universelles”.

    2. Plutôt que de parler d’abrutissement, je parlerais de choix de faciliter. Tout comme nous choisissions de nous “détendre” devant la TV (nous vider le cerveau), nous choisissons la facilité et nous nous “détendons” devant Facebook ou Instagram. Cette posture engendre une forme de passivité qui ouvre la voie à de la manipulation de l’opinion en masse.

  4. Bonjour Frédéric, et bravo pour ce nouvel article pointu et cet angle intéressant.
    Ce n’est pas forcément abordé dans ton article mais je souhaitais partager avec toi une observation « empirique » personnelle mais néanmoins pertinente en terme de volume de contenus analysés : alors que je fais exactement le même constat que toi de la montée de la haine et de l’instrumentalisation sur les réseaux mainstream tel que Facebook, Twitter voire Instagram (au passage, il me semble ici évident que la responsabilité des politiciens dans tout cela est immense …puisque comme à chaque fois qu’ils débarquent sur une plateforme à la mode : ils y importent l’hystérisation et leur partisans,via des positions clivantes/provocatrices. Il y a eu un avant/après Twitter lorsque des Eric Ciotti and co ont débarqué… et les médias ont malheureusement pris le relais pour booster leurs audiences. L’époque m’oblige à préciser que je ne suis ni « anti politique » ni « anti média », juste lucide !), je suis stupéfait (positivement) de constater « l’extrême » inverse sur certains nouveaux réseaux de niche, tels que Yummypets ou Mesvoisins.fr, par exemple (et j’en connais d’autres que je ne citerai pas ici) où je n’ai vu que de la bienveillance et du partage (le contraste est absolument saisissant lorsque l’on passe de Twitter à l’un de ces réseaux !). Pour rebondir sur ta conclusion, je dirais donc que l’avenir souhaitable (que tu mentionnes) se trouve peut être dans ces réseaux de niche (à noter que Mesvoisins.fr ne se finance a priori pas par la pub mais par les dons utilisateurs) ?
    En tout cas c’est ce que je leur souhaite ! Je crois en effet que c’est l’effet de « niche » qui créé en fait cette « oasis » dans laquelle il possible d’échanger avec quelqu’un sur un sujet sans tomber dans les clivages et les attitudes SJW. On peut par exemple discuter « race de chat » 😉 avec une personne qui, si ça se trouve nous aurait insulté sur Twitter pour des raisons politiques ou autre ! Je terminerai donc en lançant un appel à tout investisseur qui voudrait créer avec moi un nouveau réseau, sur lequel toute présence et tout propos politique ou religieux seraient interdits (via une modération à base d’IA et un ban illico) ! 🙂

    1. Effectivement, la montée des comportements extrêmes est particulièrement visible sur Twitter, mais elle existe aussi de façon plus sournoise sur Instagram, avec notamment toutes ces jolies jeunes filles légèrement vêtues qui vantent les mérites de l’homéopathie (donc anti-vax) ou de l’émancipation par l’auto-défense (donc la vente libre d’armes à feu).

      Des dérives que l’on ne retrouve pas sur les plateformes sociales de proximité, ce vers quoi Facebook essaye de tendre à nouveau avec le recentrage sur les Groups.

    2. “Je terminerai donc en lançant un appel à tout investisseur qui voudrait créer avec moi un nouveau réseau, sur lequel toute présence et tout propos politique ou religieux seraient interdits (via une modération à base d’IA et un ban illico) ! ”

      Mais oui standardisons la bonne pensée, y a pas de souci… on pourrait appeler se réseau “bisoubook”, on va s’envoyer pleins de petits bisous.

      bisous bisous

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