Cette nuit, Mark Zuckerberg a présenté au monde entier les dernières évolutions de Places, la plateforme de géolocalisation de Facebook. Rassurez-vous, je ne vais pas paraphraser les annonces de la soirée, d’autres l’ont fait mieux que moi : Everything You Need To Know About Today’s Facebook Announcements. En résumé, les évolutions de Places concernent trois aspects :
- Une intégration plus forte sur les smartphones (iPhone et Android pour le moment) avec la possibilité de lier son profil Facebook a n’importe quelle application mobile en un clic ou de façon automatique (“Single Sign-On“) ;
- Un jeu d’API beaucoup plus complet permettant à n’importe quelle application de rechercher, de lire ou d’écrire dans la base de données de Facebook Places ;
- Des fonctionnalités de coupons de réduction et d’offres commerciales à destination des commerçants (“deals“).
http://www.facebook.com/v/10150318377910484
C’est donc une sacrée grosse nouvelle pour toutes celles et ceux qui suivent le dossier de près et un gros bouleversement pour les 200 millions d’utilisateurs de Facebook Mobile (sur smartphone et touch.facebook.com). L’histoire ne dit pas par contre quel pourcentage des utilisateurs mobiles exploite les fonctionnalités de Places. Difficile pour le moment de faire des projections, mais les premières études sur le sujet parlent d’une moyenne à 5% des utilisateurs de terminaux mobiles : Check-in Craze Not Mainstream Yet. 5% de 200 millions, ça fait 10 millions d’utilisateurs potentiels dans le monde. Un beau chiffre, mais qui ne reflète pas les fortes disparités dans le potentiel réel de ces annonces.
Facebook Places = Facebook Platform for Mobile
La première chose à savoir sur Facebook Places, c’est que ce n’est pas réellement un produit fini, ou plutôt que ce n’est pas un service à part entière, mais plutôt une plateforme sur laquelle vont venir se greffer des services. En ce sens, Places s’intègre à la philosophie de la Facebook Platform. Donc concrètement, il n’est pas possible de comparer Facebook Places à Foursquare, Gowalla ou Brightkite. Ainsi, ces services peuvent tout à fait cohabiter et se nourrir.
Par contre, Facebook Places en tant qu’agrégateur des check-ins se situe en concurrence frontale avec Check.in et avec Google Places pour l’annuaire géolocalisé des commerçants (mais nous reviendrons dessus plus tard). Ceci étant dit, la comparaison est limitée, car la plateforme de Facebook est extrêmement modulaire et peut ainsi ouvrir d’innombrables possibilités d’innovations. Le problème, c’est que ces possibilités perdent de leur attrait dès qu’elles traversent l’Atlantique (voir la section suivante).
De plus, le succès d’une plateforme se mesure à la qualité des services qui sont greffés dessus. Mais rien n’empêche ces fameux services de basculer d’une plateforme à une autre si les conditions sont plus avantageuses (à l’image de SCVNG qui a commencé sur Facebook Places et qui lorgne maintenant du côté de Google Places : SCVNGR Uses Google’s Places Database for Aggressive International Expansion).
Des applications commerciales bridées par la loi française… et les concurrents
Le programme Deals de Facebook Places va donc permettre aux commerçants d’émettre des coupons de réduction aux personnes qui se signalent dans leur boutique (“Individual Deal“), à celles qui se signalent plusieurs fois (“Loyalty Deal“) et à celles qui font venir des amis (“Friend Deal“) :
Tout ceci est très intéressant sur le papier, mais présente des zones d’ombre qui ternissent ce tableau idyllique :
- Le potentiel des coupons mobiles n’est délivré qu’à partir du moment où les membres se signalent dans un commerce, or la fonction de géolocalisation est fortement encadrée par la loi française (l’utilisateur doit donner son accord explicite à CHAQUE géolocalisation) et peut facilement être contournée (des robots pourraient ainsi siphonner les coupons de tout un quartier en quelques secondes).
- Il n’est possible de se signaler qu’à un seul endroit à la fois. Que se passe-t-il le jour où je me promène dans un centre commercial : il faudra que je me signale dans toutes les boutiques pour avoir les coupons ?
- Comment faire pour cibler les coupons sur les membres les plus intéressants ? Ou plus exactement : Comment relier une base CRM (et son programme) avec des utilisateurs qui ne peuvent pratiquer la géolocalisation silencieuse ? Ça fonctionne bien quand GAP offre des jeans aux 10.000 premières personnes, mais après ?
- Comment faire pour gérer de façon centraliser les coupons au niveau d’une chaine de distribution ? Je m’étais posé la question au moment de la sortie du service et ce point n’a toujours pas été réglé.
- Comment vont se régler les litiges avec les commerçants ? Je m’étais ainsi amusé à créer et dénoncer un lieu “Chateau de Versailles” fictif. C’était il y a 1 mois et il ne s’est toujours rien passé…
- Comment se régler les litiges avec les utilisateurs qui vont être impliqués à leur insu dans des Friend Deal (tout comme ils sont déjà impliqués sans leur consentement dans les tout nouveaux Groups) ?
Outre ces quelques points précis, Facebook va surtout devoir faire face à deux difficultés majeures :
- Leur base de données de commerces et points d’intérêt est bien plus pauvre que celles des city guides déjà en activité depuis de nombreuses années (comme Yelp ou les Pages Jaunes) ;
- Ils ne possèdent pas de fond cartographique, contrairement à Google, et doivent donc utiliser celui des autres.
Je doute que ces concurrents se laissent tranquillement grignoter par Facebook. Pour le moment tout repose sur des partenariats,mais que se passera-t-il lorsque les partenaires se montreront plus regardants (au hasard Microsoft avec Bing Maps) ?
De plus, consulter une carte est un réflexe naturel lorsque vous arrivez dans un quartier que vous ne connaissez pas bien. Même si vous avez une grande quantité d’amis, je doute qu’ils puissent vous renseigner de façon plus efficace que Google Maps, surtout si ce dernier est couplé avec les toutes dernières fonctions de city guide (It’s A Location Turf War As Google Rolls Out Place Search). En ce sens, le fond cartographique de Google sert ainsi de “produit d’appel” pour pouvoir exposer les utilisateurs aux Local Ads, le concurrent direct des Deals de Facebook (Google Gives Local Businesses an Advertising Boost).
Facebook, le nouveau roi du mobile ?
Les ambitions de Facebook sont donc clairement annoncées en ce qui concerne la mobilité : devenir la couche sociale universelle des terminaux mobiles. OK très bien, mais cette vision utopique n’intègre pas deux acteurs majeurs de la mobilité : Apple et Google. Que se soient pour l’iPhone ou pour les smartphones tournant sous Android, la couche la plus basse du système reste maitrisée par ces deux acteurs qui ne comptent pas non plus se laisser évincer par Facebook.
Les possesseurs d’iPhone sont ainsi obligatoirement liés à Apple avec iTunes (une gigantesque base de données de centaines de millions de profils… et de cartes de crédit). De même, les utilisateurs d’Android possèdent nécessairement un compte Google (Gmail, Profile ou autre) avec un mécanisme d’authentification qui est nativement intégré au système d’exploitation. Je doute qu’ils laissent le mécanisme d’authentification de Facebook se substituer au leur.
Pour le moment ces deux acteurs n’ont pas ouvert les hostilités, quoi que : Apple et Facebook sont toujours “en discussion” en sujet de Ping et Google vient juste de modifier ses CGU pour compliquer la tâche de Facebook (Google To Facebook: You Can’t Import Our User Data Without Reciprocity). Le message semble donc être clair : la situation va se corser pour Facebook à mesure que les services déployés vont venir menacer leur position dominante ou leurs revenus (ils exigeront une part du gâteau).
Facebook, le nouveau roi des réseaux sociaux de proximité ?
Avec ce nouveau Places, nous sommes en droit de nous demander si Facebook ne va pas s’imposer comme le nouveau réseau social de proximité. Là encore j’en doute, car la légitimité de Facebook sur ce créneau reste à prouver.
Il a fallu des années à des acteurs de niche comme Peuplade ou Ma-résidence pour s’implanter dans des quartiers bien délimités, des années au cours desquelles ces services ont su gagner la confiance des habitants, des commerçants, et du soutien des municipalités locales. La confiance est réellement un élément clé pour les réseaux sociaux de proximité. Développer des interactions sociales autour de jeux avec un pseudo est une chose, partager des choses avec vos voisins en est une autre. Tant que Facebook s’amusera à changer régulièrement les CGU du service et à proclamer que le graph social a besoin d’être libéré, il ne sera pas possible de construire des interactions sociales durables sur une plateforme ayant un pied en ligne et l’autre hors ligne.
Ce qui peut par contre être fait, c’est de s’appuyer sur Facebook comme levier de croissance. Facebook Connect peut ainsi servir à fluidifier le processus d’inscription (Astuce : Utiliser Facebook Connect pour de la pré-inscription), mais de toute façon les utilisateurs doivent créer un compte, car il serait trop risqué de déléguer entièrement cette partie à Facebook. C’est notamment ce que fait Ma-résidence (et des services beaucoup plus gros comme la communauté d’Allocine).
Donc non, je reste persuadé que les acteurs en présence ne sont pas menacés par ce nouveau Facebook Places qui est plus tourné vers les commerçants que vers les habitants.
Facebook, le nouveau roi du web ?
Avec son audience colossale et cette nouvelle plateforme mobile, nous sommes en droit de nous demander qu’est-ce qui pourrait bien arrêter Facebook dans sa course à la domination du monde numérique. Même si le succès de la plateforme est indéniable, il reste encore à Facebook une ultime épreuve à franchir : celle de la juridiction territoriale, à savoir de lier des relations durables avec les gouvernements des pays dans lesquels le réseau est présent.
Je n’aborderais pas le cas des pays totalitaires qui bloquent l’accès à Facebook (Iran…) mais j’attire votre attention sur la bataille juridico-politique qui vient de démarrer avec les gouvernements de pays comme la Canada ou l’Allemagne : Germany: Facebook Illegally Accessed, Saved Non-User’s Data et Another Canada Privacy Commission Probe Looms Over Facebook.
Le problème est le suivant : Les données des utilisateurs sont hébergés aux États-Unis, donc sous la juridiction de l’état où se situe le data center ainsi que du Patriot Act. Les gouvernements précités sont (à juste titre) inquiets en ce qui concerne le respect des droits de la confidentialité des données personnelles de leurs ressortissants.
Que va-t-il se passer quand l’U.E. va commencer à s’intéresser de très près à Facebook ? Pour mémoire, l’U.E. a réussi à faire plier Microsoft, pensez-vous qu’une petite start-up de 2.000 personnes les impressionnent ? Le but du législateur européen n’est pas de neutraliser les start-up de la Silicon Valley, mais une procédure avec l’U.E. risquerait de sérieusement affaiblir Facebook qui devrait procéder à de lourds changements structurels pour se plier aux contraintes des pays qui le rappelleraient à l’ordre (sans compter le coût de la procédure en elle-même).
Conclusion : Même si Facebook continue de briller par ses chiffres de croissance et ses nouvelles ambitions sur la mobilité, je ne peux m’empêcher de penser que cette réussite ne repose pas sur des fondamentaux stables. En d’autres termes : Facebook est un géant aux pieds d’argile. Cela veut-il dire que Facebook va s’effondrer sous son propre poids ? Non il y a peu de chances. Par contre je vous invite fortement à réfléchir à deux fois avant de faire reposer votre présence au sein des médias sociaux uniquement sur Facebook.
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Heu… de quoi parlions-nous déjà ? Ha oui, de Facebook Places. Malgré les réserves émises plus haut, cela ne doit en aucun cas vous brider dans l’extrapolation locale de votre marque et de vos campagnes. Pensez simplement à expérimenter différentes plateformes.