Depuis que Facebook a racheté Oculus en 2014 Il y a un net regain d’intérêt pour la réalité virtuelle. Non pas que la technologie soit parfaitement au point, mais force est de constater qu’elle fait des progrès réguliers et que les usages se développent petit à petit. L’arrivée sur le marché de matériels particulièrement attractifs, couplée à un phénomène de lassitude des médias sociaux génère un mouvement de balancier dont les environnements virtuels sont les premiers bénéficiaires. Qui l’eût cru ? Hé bien justement ceux qui y ont toujours cru ! Tant mieux pour eux, et tant pis pour les médias historiques qui commencent à souffrir d’une concurrence redoutable.

De Second Life à Facebook, l’avènement des avatars
Quand on parle de virtuel, tout le monde a en tête l’époque Second Life. Effectivement, cet univers virtuel est passé par toutes les phases (Grandeur, décadence, résurrection, sublimation et transformation de Second Life). Véritable OVNI à l’époque de son lancement (“Objet Virtuel Non Identifié“), Second Life a su traverser les modes (Second Life, pas encore mort) et fascine par sa longévité (Second Life, un monde parallèle qui dure). Et ce n’est pas Fred Cardozo qui vous dira le contraire !

À leur apogée en 2007 (cf. ma cartographie publiée cette année), l’exposition médiatique des univers virtuels a rapidement été balayée par l’arrivée des médias sociaux et la déferlante du Web 2.0. YouTube, Facebook, Twitter et cie ont enterré There, IMVU, Maple Story ou encore Lively (la liste est longue). Pourtant, après 10 années de croissance ininterrompue, les médias sociaux traversent une période trouble…
Des plateformes sociales devenues toxiques
Si vous avez consulté mon Panorama des médias sociaux 2019, alors vous savez deux choses : premièrement, que les grandes plateformes sociales sont en pleine forme ; et deuxièmement, que les grandes plateformes sociales sont également sous les feux de la critique, car jugés antisociales (Why teens aren’t partying anymore), anxiogènes (Irréelles jusqu’ à la dépression) et toxiques (Les réseaux sociaux nuisent gravement à l’humanité), quoi que pas tout à fait (Social media’s enduring effect on adolescent life satisfaction), mais quand même un peu (5 Ways Social Media Affects Teen Mental Health).

Si les différentes études scientifiques essayant de déterminer l’impact des médias sociaux sur les jeunes se contredisent, il y a en revanche une constante, c’est le côté complètement artificiel des publications des soit-disant influenceurs qui essayent de nous faire croire qu’ils vivent une vie parfaite (Comment Instagram est devenu le royaume du fake généralisé).

Ce phénomène de “fakitude” a pris une telle ampleur que la mode est maintenant aux photos moches (Ados sur Instagram: enfin de la laideur dans ce monde filtré). Du coup, tant qu’à interagir avec des avatars d’utilisateurs, autant le faire avec de vrais avatars virtuels dans un environnement qui a été conçu pour ça, non ?
Un repli vers des environnements virtuels plus guillerets
Face à la toxicité des grandes plateformes sociales et au phénomène d’influenceur fatigue, certains s’intéressent à nouveau aux univers virtuels et sont surpris de constater que les stars de l’époque sont plus en forme que jamais, toute proportion gardée.
En premier lieu, il y a Second Life, qui croyez-le ou non, est toujours actif, et se paye même le luxe de lancer un nouveau programme immobilier :
Vous pourriez penser que Second Life est l’exception qui confirme la règle, mais d’autres univers virtuels font également preuve d’une incroyable longévité comme Habbo Hotel, qui 18 ans après sa création dispose toujours d’une base d’habitués très fidèles : Wandering the quiet digital halls of Habbo Hotel. D’ailleurs vous constaterez que le site français est toujours régulièrement mis à jour…

De même, RuneScape a su conserver l’intérêt de ses résidents avec des mises à jour régulières (Classic MMO RuneScape is coming to mobile), de nouveaux contenus (RuneScape brings a Jurassic spark to the MMO with ‘The Land Out of Time’), et affiche une audience (RuneScape turns 18 with biggest ever audience) et une santé financière tout à fait confortable : RuneScape maker Jagex revenue up almost 10 per cent year-on-year in 2018.

Mais le summum de la dévotion revient aux résidents d’Entropia Universe qui vient de fêter ses 16 ans d’existence avec une mise à jour majeure et dont la profondeur surprend même les spécialistes (Entropia Universe: My Surprise). Cet univers virtuel, encore moins connu du grand public que Second Life défraie pourtant régulièrement la chronique de par le dynamisme de son économie (Virtual Space Station Sold For $330,000, Entropia’s Club NEVERDIE sets new record for most expensive virtual item sale, MindArk launches cryptocurrency for Entropia Universe virtual worlds et Entropia Universe company raises $500,000 in a virtual stock market offering) et les projets fous de son éditeur (MindArk ambitionne de transférer des consciences humaines dans Entropia Universe).

Les univers virtuels sont-ils l’avenir des plateformes sociales ? Clairement non, dans la mesure où ce ne sont pas et n’ont jamais été des destinations pour le grand public (uniquement les amateurs du genre). En revanche, ce sont d’authentiques laboratoires pour les précurseurs permettant d’anticiper les usages de demain.
Autant à l’époque de Second Life, la technologie était un facteur limitant, autant aujourd’hui c’est l’inverse. Nous avons donc d’un côté des univers virtuels incroyablement résilients et de l’autre des équipements de réalité virtuelle qui progressent tous les ans. Forcément, la réunification de ces deux tendances génère les plus folles spéculations.
La réalité virtuelle en force
Si vous vous intéressez un peu au sujet de la réalité virtuelle, alors vous devez savoir deux choses : premièrement que le matériel et les logiciels / services évoluent très rapidement (Tour d’horizon des dernières nouveautés de la réalité augmentée – mixte – virtuelle) ; et deuxièmement que le palier de maturité approche (Tour du monde des usages de la réalité virtuelle). Cela fait plusieurs années que le marché de la VR se structure, voilà pourquoi il existe un écosystème aussi dense : Virtual reality ecosystem has more than 550 companies.

Un écosystème parfaitement structuré et des usages “sérieux” qui commencent à émerger. Par “sérieux”, j’entends des usages et des modèles économiques qui ne sont pas liés au jeu, mais aux médias traditionnels (I watched the NBA Playoffs in VR, and it’s going to change how you watch sports) ou au activités traditionnelles (Modsy scores $37M to virtually redesign your home).
À l’origine de cette accélération du segment de la réalité virtuelle, il y a le patron et le fondateur de Facebook qui a fait le pari audacieux d’anticiper le prochain paradigme numérique : l’informatique spatiale. Dès 2014, Facebook a racheté Oculus et échafaudé des plans très ambitieux (cf. How Facebook’s Social VR Could Be The Killer App For Virtual Reality publié en 2016).
D’un côté, ils travaillent sur la partie matérielle avec une gamme particulièrement bien agencée de casque accessibles à toutes les bourses. D’un autre côté, ils poussent également l’adoption sur la partie logicielle, notamment avec l’arrivée prochaine d’avatars pour venir égailler vos commentaires et interactions (et concurrencer Snapchat) : Facebook introduces Avatars, its Bitmoji competitor. Vous noterez que sur ce coup-là, ils ont près de 15 ans de retard par rapport à Yahoo qui déjà tenté le coup dans les années 2005-2007 (Yahoo! se lance timidement sur le créneau des univers virtuels). Idem pour Apple qui vient de dévoiler ses plans : iMessage to support profile photos — including your new Memoji personalized with makeup and accessories.
Régulièrement, Facebook partage les avancées de son centre de R&D et propose des choses toujours plus folles : Facebook gets one step closer to building your virtual copy et Facebook Shows Off High Quality Markerless Body Tracking From A Single Sensor).
Malheureusement, si les progrès matériels sont indéniables, ils se sont fait doubler sur la partie logiciel / service, notamment par Rec Room, une plateforme virtuelle qui semble faire des émules dans la communauté : Rec Room Reaches Over One Million VR Headsets.

Ce qui fait le succès de Rec Room, c’est la facilité de prise en main, la disponibilité multi-plateformes (Rec Room Plans More Platforms For 2019 As Fans Request iPhone, Android And Switch) et la possibilité pour les membres de la communauté de pouvoir créer des activités ludiques (As social VR grow, users are the ones building its worlds).
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Facilité de prise en main, multi-plateformes, activités ludiques… tout ça ne vous rappelle rien ?
Minecraft et Fortnite redéfinissent le paysage média
Lancé en 2011, Minecraft est devenu en quelques années un authentique phénomène culturel. Encensé par les parents et adulé par les enfants, ce jeu de type “bas à sable” a complètement transformé la vision que le grand public avait des jeux vidéo et surtout stimulé la créativité de dizaines de millions de joueurs. Racheté par Microsoft en 2014, Minecraft a été décliné sur toutes les plateformes, scindé en deux pour mieux correspondre aux attentes de la communauté des fans d’un côté et du monde éducatif de l’autre, puis dérivé en une franchise avec des mini-jeux parallèles et même une gamme chez Lego.
Certes, la grande époque de Minecraft est passée (plus de 176 M d’unités ont été écoulées), mais son succès planétaire perdure encore (2018 was mobile Minecraft’s best year ever with $110 million earned), savamment stimulé par le savoir-faire de Microsoft (Minecraft still has 91 million monthly players as it hits Game Pass). D’ailleurs, la firme de Redmond compte bien frapper un grand coup en émulant le succès de Pokemon Go avec la sortie cet été d’une version augmentée : Minecraft Earth makes the whole real world your very own blocky realm.
N’allez pas penser que l’incroyable succès de Minecraft a empêché les autres jeux “bac à sable” de se développer, car pendant cette période Roblox a également su se constituer une solide communauté : Roblox hits 90 million monthly users as European growth picks up. Proposant un environnement de développement intégré (Roblox Studio), la force de Roblox est de permettre à ses créateurs de concevoir des jeux plus sophistiqués (Roblox follows Minecraft into the education market) et surtout monétisables (Des dessins moches, des jeux simplistes et 178 millions d’adeptes : pourquoi Roblox a tant de succès ?), ce qui stimule l’avidité des investisseurs (Roblox, the hit gaming company you may not have heard of, could be worth $2.5 billion).

Enfin, comment ne pas aborder les jeux multi-joueurs sans parler de Fortnite. Lancé en 2017 comme un jeu coopératif, la possibilité d’y jouer en mode Battle Royale a généré un incroyable succès qui a pris tout le monde de court. D’après son éditeur, le jeu réunirait une communauté gigantesque et très impliquée : Epic Games has 250 million Fortnite players and a lot of plans. Je ne vais pas revenir sur les facteurs qui sont à l’origine de cette réussite, car d’autres l’ont fait mieux que moi : Fortnite, les raisons d’un succès.
Non seulement Fortnite est un succès planétaire, mais il entraine dans son sillage d’autres jeux qui surfent sur la mode du Battle Royale et qui sont en train de redéfinir l’industrie : How ‘Apex Legends’ and ‘Fortnite’ are transforming the video game industry. Est-il réellement possible de bouleverser une industrie particulièrement rentable en seulement 2 ans ? Oui, il suffit pour cela de capter plusieurs milliards de $ de revenus : Player Spending in Top Mobile Battle Royale Titles Crosses $2 Billion.

Aujourd’hui, Fortnite est devenu bien plus qu’un jeu en ligne. Certains le comparent à un réseau social (More than a game, Fortnite is emerging as the best new social network), d’autres le définissent comme le nouveau café de la Gare (l’endroit où les jeunes vont trainer à la sortie des cours : Fortnite Is the Future, but Probably Not for the Reasons You Think), d’autres comme la solution au problème de volatilité des utilisateurs (The attention economy is dead, But Fortnite might have the answer). Quelle que soit la façon dont vous le percevez, Fortnite est aujourd’hui devenu un véritable phénomène dont les anciens et nouveaux médias se méfient : Netflix thinks ‘Fortnite’ is a bigger threat than HBO et Why disney should be worried about Fortnite).
Plus intéressant, Fortnite est également utilisé comme une plateforme de visibilité pour les groupes de rock (Fortnite’s latest collaboration is with aging rock stars Weezer) et les DJ (Fortnite Had 10 Million Concurrent Players In The Marshmello Concert Event). On s’en sert même pour assurer la promotion de films (Fortnite’s Avengers: Endgame crossover is one of the best superhero games I’ve ever played et John Wick is officially in Fortnite) ou le lancement de nouveaux produits (Michael Jordan’s Jumpman invades Fortnite).
Fortnite est le MTV du XXIe siècle
La pire façon d’appréhender Fortnite est de penser que c’est un “simple” jeu en ligne. En réalité, c’est bien plus que ça : c’est effectivement un jeu (solo ou multijoueur), mais également une discipline compétitive (le battle royale) avec sa ligue et ses compétitions (Coupe du monde de Fortnite : les phases de qualification commencent), un courant culturel avec ses costumes et ses danses qui font l’objet d’une bataille juridique (Fortnite Dance Lawsuits: The Carlton, the Floss, the Milly Rock, What Is Going On?), un endroit où s’évader et oublier ses soucis quotidiens (Fortnite isn’t addicting your kids, it’s just giving them what society won’t)…
Pour certains, Fortnite est une activité très lucrative, que ce soit en empochant les primes des compétitions (Fortnite goes big on esports for 2019 with $100 million prize pool), en rediffusant ses parties (Grâce à son talent sur Fortnite, cet ado de 14 ans gagne 15.000 euros… par mois), en donnant des cours pour bien maitriser les tactiques de jeu (Parents are shelling out $20/hour for Fortnite tutors) ou les pas de danse (Some kids are paying for Fortnite dance lessons).
Le jeu vidéo est aujourd’hui la première industrie culturelle, mais avec Fortnite, elle a franchi un nouveau cap, gommant la frontière entre les médias. À mesure que le niveau des joueurs augmente, l’éditeur intègre dans les mises à jour de plus en plus d’activités récréatives, permettant ainsi aux joueurs de passer d’un mode compétitif à un mode récréatif (terrains de foot ou de basket, piste de danse, circuit de voiture…).

Ces activités placent les joueurs dans un état d’esprit plus ludique où ils sont beaucoup plus réceptifs aux placements de produit, que ce soit pour faire la promotion d’un film, d’un nouvel album ou de baskets. Certes, le placement de produits dans les jeux vidéo n’est pas nouveau, mais quand ça vous permet de toucher potentiellement près de 250 M de personnes, là nous parlons de tout autre chose, nous parlons de publicité sur un média de masse.

Entre les nouveaux modes de jeu, les défis hebdomadaires, les activités saisonnières, les événements ponctuels et l’évolution de la map, chaque nouvelle saison de Fortnite est l’occasion pour l’éditeur de maintenir l’attention des joueurs et de grossir l’audience. Et le pire dans tout ça, c’est qu’ils n’ont pas réellement commencé à chercher à décliner la licence sur d’autres supports (BD, série ou film). Sur ce plan là, ils ont tout à apprendre de Dofus qui est un cas d’école.
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Comme j’ai eu l’occasion de le répéter dans cet article, Fortnite est bien plus qu’un jeu virtuel, c’est un phénomène culturel que vous ne pouvez pas ignorer, car il préfigure de l’avenir des médias. Mais Fortnite n’est que la partie visible de l’iceberg, il est la résultante d’un écosystème très riche de jeux multijoueurs et de metavers dont les précurseurs étaient Second Life ou Minecraft (et Le Deuxième Monde avant ça). En ce sens, c’est une sacrée revanche pour les univers virtuels qui étaient considérés avec dédains. Aujourd’hui, la roue a tourné : les chaines de télévision traditionnelles ne font plus recette tandis que les éditeurs d’environnements numériques ludo-sociaux affichent des résultats mirobolants (Epic Games, the creator of Fortnite, banked a $3 billion profit in 2018). Ainsi va le monde, maintenant dominé par les écrans numériques.