Votre reprise sera conditionnée par la maturité de votre écosystème numérique

La timide reprise de l’activité économique nous fait ouvrir les yeux sur une réalité dont personne ne veut, mais que nous devrons tous subir : il n’y aura pas de retour à la normale. Il en va maintenant de la responsabilité de chacun (citoyens, organisations, entreprises…) de revoir ses priorités et de s’adapter à un quotidien sans contact. Dans ce contexte, le numérique apparait comme une solution évidente, mais malheureusement pas comme un remède miracle : il va falloir travailler dur pour rembourser la dette numérique et développer de nouvelles capacités, également numériques, pour pouvoir faciliter et accélérer la reprise de l’activité dans un monde post-COVID.

Les magasins ont officiellement rouvert depuis quelques semaines, mais la situation reste précaire à cause des nombreuses règles sanitaires (occupation maximum, gel à l’entrée, désinfections journalières…). De ce fait, les annonces de fermeture se succèdent : La Halle et Camaïeu en redressement judiciaire. Notre économie est donc dans une situation très délicate avec un taux d’endettement qui s’envole sous l’action cumulée d’un plan de relance ambitieux et d’une forte baisse du PIB (La dette française va “sans doute” dépasser le seuil de 115% du PIB fin 2020).

Toutes les entreprises cherchent aujourd’hui à relancer leur activité, non pas pour combler le manque à gagner de ces derniers mois, mais pour se maintenir à flot et éviter la fermeture définitive. Si la relance de la consommation par les soldes est effectivement un levier efficace à très court terme pour inciter les clients à sortir à nouveau de chez eux, il va falloir envisager des changements plus radicaux pour affronter les prochains mois.

La distribution classique a un tournant de son histoire

Je sais bien qu’il existe une grande tradition de la distribution en France, à la fois historique (le premier magasin Au Bon Marché a été fondé en 1838) et culturelle (VPC, grande distribution, distribution spécialisée…), mais ce savoir-faire se heurte à un ennemi invisible contre lequel personne ne peut lutter. Résultat : des rues commerçantes désertées par des consommateurs encore traumatisés par le coronavirus.

Entre les manifestations des Gilets Jaunes l’année dernière, les grèves des transports en commun du début d’année et la COVID, le secteur de la distribution traditionnelle est assurément en grande souffrance : Shopping malls were dying before COVID-19, Imagine them post-pandemic.

Certes, il y a bien un report des achats sur les boutiques en ligne (The impact of COVID-19 on e-commerce), mais nous ne parlons là que d’une petite partie des achats : la part des ventes en ligne représentait 10% des ventes totales en début d’année, même si elle finit à 15 ou 20% en fin d’année, ça reste tout de même un coup de massue pour les points de vente physiques.

Dans tous les cas de figure, nous n’envisageons pas un remplacement pur et simple des boutiques traditionnelles par des boutiques en ligne ; en revanche, il est largement temps de gommer la frontière entre les deux et d’adopter une approche hybride : Covid-19 Accelerates Online-Offline Retail Convergence.

Certaines enseignes ont réagi très vite, à l’image de Whole Foods (racheté par Amazon en 2017) qui transforme ces supermarchés en des mini-centres logistiques pour accélérer les livraisons : Whole Foods continues to open online-only ‘dark’ stores. Du coup, de nombreuses autres enseignes adoptent le système de Click & Collect afin de conserver de la proximité avec leurs clients (pour qu’ils ne changent pas d’habitude et aillent aux mêmes endroits) et maintenir les boutiques ouvertes : Gémo a lancé son drive.

Certains tentent des opérations beaucoup plus audacieuses, mais elles relèvent plus du coup de pub opportuniste que de la conduite du changement : Gémo au pays d’Animal Crossing.

Alors que nous approchons du milieu d’année, il est plus que temps de se rendre à l’évidence et de se dire une bonne fois pour toute qu’il n’y aura pas de retour à la normale. La question est maintenant de savoir à quoi va ressembler la nouvelle normalité et surtout comment s’y préparer. Une tâche beaucoup plus complexe qu’il n’y parait puisqu’il subsiste encore de nombreuses inconnues (ré-ouverture de café et restaurants, des théâtres et cinémas, distances autorisées de déplacement, zone rouge ou verte…) ainsi que des inconnues que nous n’avons pas encore identifiées. Qu’importe, vous avez toujours la possibilité de vous appuyer sur des scénarios pour construire une réponse durable à cette crise et poser les bases de votre nouvelle normalité (Le numérique comme moteur de votre Plan de Reprise d’Activité).

S’adapter à un quotidien sans contact

Alors que les traitements à la chloroquine sont officiellement interdits et que nous savons maintenant qu’aucun vaccin ne sera finalisé avant la fin de l’année prochaine, les entreprises et organisations doivent activement repenser leur mode de fonctionnement pour pouvoir maintenir l’activité dans un contexte où les contacts physiques sont à proscrire (People Priorities in the Ramp-Up and Return to Work).

Certes, la période de confinement est terminée, mais d’une part nous ne savons pas s’il va y avoir une nouvelle vague de propagation du virus (donc un reconfinement) ; d’autre part, il y a toujours une très forte incitation à ne pas s’exposer dans les lieux publics. De plus, si nous avons pu constater des queues devant certains magasins, la plupart des consommateurs souffrent d’une forme de syndrome de la cabane, ce qui va considérablement perturber la reprise.

Que vous le vouliez ou non, que vous l’acceptiez ou non, notre quotidien est et restera immanquablement perturbé par le coronavirus. Je ne suis pas sociologue, mais je peux néanmoins lister trois grands facteurs de changement : le télétravail, la réticence à prendre les transports en commun et la fin du lèche-vitrine (3 Behavioral Trends That Will Reshape Our Post-Covid World).

S’il y a encore six mois vous pouviez être légitimement sceptique quant à ces tendances, la réalité du monde cost-COVID nous rattrape et nous impose un mode de vie que l’on n’a clairement pas choisi, mais que tout le monde devra subir. Dans l’univers de la distribution, on a trouvé un nom à cette réalité : le commerce sans contact (Contactless Commerce Is Suddenly Mission-Critical in Every Retail Category et COVID-19 boosts the prospect of contactless commerce).

Le “contactless commerce” n’est à priori pas très différent de celui que nous connaissons (les boutiques restent ouvertes), mais il introduit des contraintes qui perturbent considérablement le parcours d’achat. D’où l’intérêt de repenser les parcours client pour compenser les contraintes des règles sanitaires grâce aux supports numériques. Tous les signaux pointent ainsi dans la même direction (As Retailers Open Doors, Is Contactless Commerce Here to Stay?) et recommandent les mêmes solutions :

  • renforcer les canaux numériques (avec une gestion omni-canal) ;
  • fluidifier les transactions (dématérialisation des paiements, tickets de caisse, bons de réduction, catalogues…) ;
  • simplifier les opérations (notamment la traitement des commandes, la livraison et la gestion des retours).

Le problème est que le commerce sans contact ne peut pas se faire avec des procédures et outils hérités du XXe siècle.

Étendre et modulariser son écosystème numérique pour accompagner la reprise

Renforcer ses activités numériques n’est pas réellement un sujet lié au Coronavirus, plutôt une conséquence. Je précise ça, car vous pourriez avoir l’impression que la COVID est l’occasion pour les Français, et surtout les médias historiques (TV, radios…), de découvrir les bienfaits du commerce en ligne. Pourtant, je n’ai de cesse de le répéter sur ce blog : la transformation digitale a commencé il y a bien longtemps, car les premières transactions à distance remontent à l’époque du Minitel, soit il y a près de 40 ans ! Entre temps, nous avons eu des innovations de rupture (ADSL, cloud, médias sociaux, smartphone…) qui ont accéléré le phénomène, mais dans l’absolu, la COVID n’est qu’un énième argument en faveur de la transformation digitale.

Ceci étant dit, n’allez pas croire que le lancement d’une boutique en ligne ou d’une application mobile soit une finalité, ce sont des conditions nécessaires, mais loin d’être suffisantes. J’avais ainsi déjà abordé la question des écosystèmes numériques dans de précédents articles : Les sites web sont-ils en voie de disparition ? et De la complexité des écosystèmes numériques du XXIe siècle.

L’idée est la suivante : dans la mesure où la majeure partie de nos transactions (achats et règlements) et interactions sont numériques (conversations, transmission d’informations…), la majeure partie des ressources d’une entreprise ou d’une organisation devraient maintenant être mobilisées sur des chantiers numériques. Or, nous sommes très loin du compte. C’est ce que je décrivais dans mes précédentes publications sur la dette numérique.

Nous sommes en 2020, soit 40 ans après le lancement du Minitel, et nous devons nous adapter à un quotidien sans contact. Pensez-vous que cela soit possible avec un malheureux site web dont la dernière refonte date d’il y a plusieurs années ? La réalité des usages numériques est que les utilisateurs exploitent maintenant de nombreux terminaux et plus seulement leur ordinateur (Panorama des terminaux alternatifs 2020). D’où l’intérêt de bâtir un écosystème digital : pour multiplier les points de contact numériques afin de toucher les utilisateurs où qu’ils se trouvent.

Il y a ici un double défi à relever : d’une part, la fragmentation de l’audience ; et d’autre part, le basculement de civilisation vers un monde post-COVID, un monde où chacun doit revoir ses priorités et ses modes de fonctionnement. Pour une entreprise, ça concerne tous les points de contact externes :

  • Exposer la mission et les valeurs renouvelées de la marque (site web, médias sociaux) ;
  • Augmenter la portée des offres (bannières, publicités natives…) ;
  • Vendre en direct (boutique en ligne, site mobile, distributeurs automatiques) ;
  • Élargir les circuits de distribution indirects (places de marché, distributeurs spécialisés, médias sociaux, bornes interactives…) ;
  • Fidéliser les clients avec des services à valeur ajoutée (application mobile ou vocale) ;
  • Renforcer l’attachement à la marque (newsletter, médias sociaux…).

À cela, il faut rajouter l’écosystème numérique interne :

  • les outils de communication et de collaboration ;
  • les canaux de transmission d’informations et de données ;
  • les applications métiers et de suivi de production / distribution ;
  • les supports de capitalisation de la connaissance ;
  • les outils de gestion des fournisseurs et sous-traitants ;
  • toutes les applications relatives aux fonctions de support (comptabilité, RH…).

Comme vous pouvez le constater, si la quasi-totalité de ces outils et supports sont informatisés, seule une petite portion est accessible en ligne (à travers un navigateur) et modulaire (disposant d’API permettant de les exploiter à travers d’autres applications – ex : RPA).

Vous pourriez penser, à tort, que tout ceci n’est que de la tambouille informatique, une histoire de tuyauterie. Et pourtant, nous touchons ici du doigt le coeur du problème : si les entreprises ont autant de mal à opérer leur transformation digitale, c’est parce qu’elles sont engluées dans des organisations tentaculaires avec des procédures complexes qu’il est très difficile de faire évoluer, à l’image de Frankenstein, qui marche, mais que l’on n’ose pas opérer… Or, l’opération est urgente, car la COVID a précipité une reconfiguation complète du marché.

Imaginions que vous souhaitiez implanter des distributeurs automatiques dans les lieux de passage, j’imagine que la meilleure façon de le faire en un délai très court serait de… sous-traiter à un prestataire. La raison est simple : il y aurait trop de résistance en interne et pas assez de personnes suffisamment pragmatiques pour mener à bien ce projet en quelques semaines. C’est dur à entendre, mais c’est la réalité. ¯\_(ツ)_/¯

Voilà pourquoi nous parlons autant ces derniers temps d’agilité et de la notion d’écosystème modulaire : un ensemble de services en ligne dont vous auriez la parfaite maitrise, et sur la base desquels vous pourriez bâtir de nouveaux services. C’est là que la notion de maturité est critique : l’important n’est pas d’étendre son écosystème numérique (cela peut être fait en passant par une armée de prestataires), mais de le faire avec une parfaite compréhension, pour pouvoir le faire évoluer rapidement et le densifier de façon autonome.

Je clarifie mes propos pour être certain qu’il n’y a pas l’ambiguïté : le plus important n’est pas la taille ou la densité de votre écosystème numérique, mais sa capacité d’évolution, ou plutôt votre capacité à le faire évoluer en fonction des nombreux aléas du marché. L’objectif est donc d’en gardez la maitrise, en opposition avec une délégation à outrance qui correspond à un empilement de services hébergés on ne sait où et opérés par des tiers qui ont leurs propres objectifs de rentabilité et de survie.

Renforcer son écosystème, mais surtout ses capacités

Vous l’aurez compris, ici tout est question de capacités : capacité de réaction, d’adaptation, de réalisation… Tout ceci va de pair avec l’autonomisation des équipes, une notion que j’abordai dans mon précédent article (De l’intérêt d’un novel marketing reposant sur l’agilité et la collaboration).

Dans le sens strict du terme, un écosystème est composé d’organismes vivants interagissant entre eux. Le choix du terme “écosystème” n’est donc pas un hasard : il est bien ici question de ressources informatiques, mais également humaines. L’entreprise pouvant être considérée comme un macro-organisme composée d’organismes (les départements ou business units) et de micro-organismes (les collaborateurs) interagissant entre eux. J’arrête là les métaphores, l’idée était de vous sensibiliser à la dimension humaine d’un écosystème numérique.

Si l’on récapitule, stimuler son écosystème numérique passe nécessairement par un certain nombre de chantiers :

  • Refondre les supports numériques et la logique de circulation des audiences (au sein d’un écosystème cohérent et intégré) ;
  • Repenser les outils numériques et leurs interconnexions (donc avec une architecture modulaire) ;
  • Faire monter en compétences les équipes internes (notamment les compétences fonctionnelles et humaines) ;
  • Revoir les procédures et circuits de décision (plus courts, plus souples) ;
  • Définir de nouvelles priorités (centrées sur le numérique) et ré-écrire la feuille de route (en repositionnant en haut de liste les chantiers numériques).

En prenant un peu de recul, vous vous rendrez compte que tous ces chantiers sont plus ou moins liés à la transformation digitale, CQFD. Nous retombons donc sur le postulat de départ : la COVID agit comme un accélérateur de la transformation digitale, un processus initié il y a bien longtemps, dont plus aucune entreprise ne peut plus se soustraire.

Et comme toujours, je reformule mes avertissements : n’oubliez jamais que la technologie est une composante nécessaire, mais pas suffisante : la solution se trouve dans un équilibre entre les outils (applications, donnée, IA…), les compétences (techniques, fonctionnelles, humaines…) et l’organisation (procédures, circuits de décision, méthodes de travail…). Renforcer l’une de ces trois parties au détriment des autres ne produira qu’un résultat mitigé (Le COVID-19, révélateur du rôle central de l’humain dans l’accélération numérique). Mais nous aurons l’occasion d’en parler dans un prochain article…

Un commentaire sur “Votre reprise sera conditionnée par la maturité de votre écosystème numérique

  1. A mon humble avis, et pour avoir tenté de peser sur l’orientation digitale d’une ETI qui avait du mal à se distancier de ses assets historique en S.I, votre billet est une belle synthèse mature des enjeux autour de l’évolution digitale, des pistes de solution pragmatiques (pas de “grand soir” du digital) et de la nécessaire posture à adopter

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