Bilan de mes prédictions 2021

Tous les ans, je me prête au jeu des prédictions sur l’évolution des usages numériques. Non pas que le marché et les usages se renouvellent de façon chronique tous les 12 mois, mais plutôt parce que c’est un exercice plaisant et surtout l’occasion de faire le point sur les tendances passées et de se projeter sur les prochaines. Comme chaque année, le bilan est plus ou moins positif, plutôt moins que plus pour 2021 🙁

La fin de l’année approche, il est donc largement le temps pour moi de faire le bilan de mes prédictions de l’année dernière. Croyez-le ou non, mais je me prête à cet exercice depuis maintenant 16 ans. Aussi, la prise de risque est-elle toujours plus élevée, car il faut formuler de nouvelles prédictions tous les ans. Ceci, et la forte période d’incertitude que nous traversons, expliquent le très faible taux de réalisation de mes dernières prédictions. Peu importe, car je prends toujours autant de plaisir à les rédiger et les critiquer l’année suivante !

Émergence de nombreux acteurs du “Go to e-commerce” locaux = 😖

J’étais extrêmement confiant sur cette prédiction, car je crois énormément en cette approche locale du commerce qui fait sauter les barrières entre le monde physique et numérique (cf. 2020 sera l’année du commerce total et Le commerce en ligne local est un commerce hybride de proximité, ce n’est pas du ecommerce). Pourtant, force est de constater que le marché n’est pas du même avis et que les marketplaces locales sont loin de faire l’unanimité. Je ne saurais expliquer cet échec, si ce n’est en mentionnant la force de l’habitude et le manque d’accompagnement des commerçants qui se sentent bien seuls (c’est d’ailleurs la grande conclusion du Baromètre Croissance & Digital de l’ACSEL). Peut-être leur faut-il plus de temps pour se mettre en place et évangéliser un public initialement plutôt réfractaire à la vente en ligne (les commerçants indépendants). Toujours est-il que le soufflet est retombé (Retail : le tout e-commerce n’est pas encore d’actualité pour les Français…).

Montée en puissance des usages de paiement via smartphone = 😖

Là encore, avec les mesures de distanciation sociale et la peur du virus, je croyais que la disparition de l’argent liquide allait être très rapide, et surtout compensée par l’utilisation de solutions de paiement intégrées aux smartphones (ex : Google Pay, Apple Pay, PayLib, PayPal, Lydia…). Mais visiblement, la force de l’habitude et surtout l’existence d’une alternative parfaitement viable (le paiement sans contact avec sa carte bancaire) a fortement limité l’adoption de ce moyen de paiement, pourtant très populaire dans le reste de l’Europe (notamment en Allemagne, Espagne ou Italie) : Le paiement par mobile peine à se faire une place dans les habitudes des Français. Les éditeurs de solutions de paiement numérique citées plus haut ayant de très grandes ambitions, cette prédiction à toutes les chances de se réaliser l’année prochaine.

Lancement d’offres de streaming vidéo gratuites financées par la publicité = 😖

Le déclin de la télévision de flux est un phénomène que l’on observe depuis de nombreuses années. Le basculement vers les contenus en replay ou les offres payantes (VoD et OTT) s’est même accéléré avec les différentes phases de confinement. Ceci étant dit, à part quelques expérimentations locales (Netflix offers a free plan without ads to Kenyan Android users, with a quarter of its catalog available to stream), les grandes plateformes s’en tiennent au modèle de l’abonnement, et ils se payent même le luxe d’augmenter leurs tarifs pour pouvoir financer toujours plus de nouveaux contenus (Netflix increases price on Standard and Premium plans).

Lancement d’offres de jeux en streaming gratuits financées par la publicité = 🙁

J’ai déjà eu de nombreuses occasions de vous expliquer que les jeux vidéos sont, de très loin, la première industrie culturelle (Global Games Market to Generate $175.8 Billion in 2021). Les taux de pénétration et de croissance des usages ludiques combinés avec les progrès réalisés en matière de cloud computing et la maturité des solutions publicitaires auraient dû former les bases d’un nouveau marché particulièrement juteux. À la place, nous avons des offres de cloud gaming payantes qui ne passionnent pas les foules (Google no longer wants to invest into Stadia, kills first-party games) et des jeux mobiles casual exploitant des franchises (Netflix’s gaming service adds three more titles globally on iOS and Android). Certains y croient (Cloud gaming service Shadow taken over by OVHcloud founder), mais en l’absence d’un acteur de référence capable de tirer le marché, je ne vois pas comment le créneau va évoluer.

Des pratiques publicitaires fortement perturbées par les vérités alternatives sur les médias sociaux = 😐

Oui, les fake news et autres vérités alternatives sont un véritable poison pour les grandes plateformes sociales. Est-ce que cela perturbe pour autant les opérations publicitaires des annonceurs ? Non pas réellement, car les contenus inappropriés ou jugés comme tels sont démonétisés, au grand dam de certains Youtubeurs qui enragent de voir leurs vidéos bloquées par un algorithme (c’est malheureusement le prix à payer pour faire de la modération à très grande échelle). Les premières victimes de ces fake news, et on ne les plaint pas, ce sont les plateformes elles-mêmes qui s’imposent maintenant des règles très strictes sur les publicités ciblées (Google, YouTube to prohibit ads and monetization on climate denial content et Meta Plans to Remove Thousands of Sensitive Ad-Targeting Categories).

Internalisation des opérations grâce à des outils offrant un premier niveau d’autonomie = 😕

Cette année, j’ai mentionné à plusieurs reprises l’importance de redonner de l’autonomie aux équipes pour pouvoir plus rapidement et facilement s’adapter aux aléas du marché (De l’urgence d’adopter une organisation de crise portée par le numérique). Cette autonomie sur la capacité de créer / gérer des supports numériques (sites web, applications mobiles, applications métier…) repose sur les solutions qui ne nécessitent pas de compétences informatiques : Le no-code pour s’adapter plus vite dans un environnement post-COVID. Je suis extrêmement enthousiaste sur les outils no-code… tout comme j’étais hyper-enthousiaste sur Yahoo! Pipes et les intranet à la carte d’il y a 15 ans. Là encore, je suis rattrapé par la réalité du marché : des utilisateurs qui sont victimes de verrous psychologiques et se refusent à imaginer un quotidien professionnel sans leurs grilles Excel ou leurs diaporamas Powerpoint. Il y a bien eu des progrès sur les solutions no-code des gros éditeurs (ex : Power Apps de Microsoft ou AppSheet de Google) ainsi que leur intégration dans leurs environnements de travail respectifs, mais vraisemblablement il va falloir encore plusieurs années pour que les salariés lambda s’extraient du paradigme des fichiers bureautique…

Un chamboulement majeur du e-marketing avec le blocage des identifiants publicitaires = 😒

Normalement vous devriez être au courant que Apple et Google bloquent ou ont annoncé leur intention de bloquer les identifiants publicitaires : The Battle for Digital Privacy Is Reshaping the Internet. Ceci a un impact majeur sur le profilage et le ciblage des utilisateurs (tracking) ainsi que la mesure de la performance (attribution). Si tout le monde est d’accord pour dire qu’il doit y avoir un recentrage des opérations e-marketing des cookies tiers (third-party) vers les cookies internes (first-party), la mise en oeuvre de ce basculement est très laborieuse, car elle demande une refonte complète des budgets et des moyens : ne plus investir dans le média (ex : Facebook / Instagram), mais dans les contenus (pour générer du trafic et pouvoir déposer un cookie). Plus facile à dire qu’à faire, d’autant plus que Google nous accorde gracieusement un sursis : Google unveils timeline for a more ‘responsible’ cookie death clock.

Abandon du fantasme pour les marques de leur application mobile = 🙄

Cela fait de nombreuses années que je milite pour relativiser l’intérêt des applications mobiles et revaloriser les sites mobiles (cf. Pourquoi les applications natives ne doivent plus être votre priorité publié il y a quatre ans). Tous les arguments techniques et fonctionnels penchent en ce sens, et pourtant… les annonceurs se laissent encore berner par des statistiques trompeuses (App stores to see record consumer spend of $133 billion in 2021, 143.6 billion new app installs). Peut-être finiront-ils par réaliser leur erreur le jour où ils commenceront à évaluer les coûts d’acquisition et de rétention des utilisateurs mobiles.

Les géants numériques continuent de se diversifier = 😀

Il n’y a visiblement aucune limite à l’appétit des géants numériques qui s’attaquent à tous les secteurs d’activité possibles dans l’intention de bousculer les rentes de situation et de croquer leur part du gâteau : How Digital Powers Will Reshape the Global Order. Le champion de la bande est incontestablement Amazon qui nous a régalé cette année avec un festival de nouveaux produits / services et rachats : Amazon is opening a hair salon in London to trial new technology, Amazon buys MGM for $8.45 billion, Amazon bought Facebook’s satellite team to help build Starlink competitor, Amazon Ramps Up Plans for Instacart-Like Service in U.S. and Europe… Tout ceci donne le tournis et nous fait dire qu’il n’y a pas de limites à leur ambition. Enfin si, il y a une limite et elle est fixée par les gouvernements des différents pays développés qui voient d’un mauvais oeil l’extension de l’hégémonie des GAFA. En tout cas, l’Union Européenne a précisé ces intentions sur les Digital Service Act et Digital Market Act, de même que les États-Unis avec les procédures anti-trust, la Chine avec le démantèlement de Alibaba et plus récemment la Corée du sud (In South Korea, Big Tech’s power struggle with regulators is way ahead of the US).

Une implication beaucoup plus forte des gouvernements des grandes nations pour institutionaliser leur géants numériques = 😁

Croyez-le ou non, mais 2021 a été une année record pour les levées de fonds des start-ups et scale-ups européennes (European start-up funding triples to a new record above $100 billion this year). Encore plus surprenant : plusieurs états membres de l’UE ont réussi à se mettre d’accord pour lancer une alliance dédiée à la croissance des startups européennes (New European Alliance to accelerate startups growth). Et pour enfoncer le clou, notre Président a récemment annoncé de très grandes ambitions en matière de souveraineté numérique (Avec France 2030, Emmanuel Macron continue de labourer son ambition de “start-up nation”). Espérons que ce grand “Cocorico !” ne se limite pas à des effets d’annonce et que les futures licornes bénéficieront d’un réel soutien, notamment en ce qui concerne la formation des talents et les infrastructures techniques (cloud souverain).

Ceci conclut la rétrospective de mes prévisions 2021, qui n’est pas fameuse, mais qui ne me décourage pas de renouveler l’exercice. Mes prédictions 2022 sont en cours de finalisation, elles seront publiées la semaine prochaine.

Un commentaire sur “Bilan de mes prédictions 2021

  1. Au contraire je trouve que ton honnêteté intellectuelle rend cette prévision beaucoup plus intéressante que l’immense majorité des incantations aux dieux technologiques. Très bel exercice. Merci Fred.

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