La semaine dernière, comme tous les ans, j’ai entrepris mon pèlerinage annuel en Bretagne pour la conférence Connect’in Lorient. J’affectionne particulièrement cet évènement, car c’est l’occasion pour moi de faire un travail d’analyse des usages numériques et d’anticipation des tendances. Un travail que je m’efforce de restituer de façon simple et compréhensible auprès d’un public très varié. L’année dernière, je m’étais lancé dans une grande rétrospective de la décennie passée. Pour l’édition 2018, je suis parti sur un recensement des hauts faits numériques de l’année ainsi qu’un passage en revue des tendances à venir. Certes, tout ceci ressemble à une grande énumération d’usages et technologies, mais cet exercice est à mon sens le reflet de la période de transition numérique que nous traversons actuellement.
De l’uberisation à l’accélération numérique
Avant toute chose, je pense qu’il est essentiel de préciser que 2017-2018 ont réellement été des années charnières, à la fois dans l’histoire du web, mais également dans celle de l’humanité. L’irrémédiable montée en puissance du web et des NTIC a favorisé l’émergence de nouvelles superpuissances numériques (les fameux GAFAM et BATX) qui sont en train de redessiner le paysage socio-économico-diplomatique. La révélation de l’utilisation des médias sociaux pour manipuler l’opinion et influer sur les votes du Brexit et des élections américaines en sont les points d’orgue. Un nouvel ordre mondial est en train de se façonner autour de trois blocs (Amérique du Nord, Chine, Europe), tandis que l’économie continue d’être bouleversée par la quatrième révolution industrielle.
J’aurais pu citer l’exemple de Uber et de la révolte des taxis pour illustrer l’ère du temps, mais je préfère ne pas abuser de formules toutes faites comme “l’uberisation va balayer tous les secteurs d’activité” ou “la disruption va complètement chambouler la chaine de valeur”. Car dans l’absolu, les changements ne sont pas si radicaux ou soudains ; ils sont plus diffus, mais néanmoins bien réels. La transition numérique est ainsi la somme d’innombrables micro-changements ou mini-transformations qui, combinés, forment un phénomène global qui ne peut être ignoré, même à une échelle locale : Plaidoyer contre le populisme numérique.
Vous pouvez ainsi être leurré par un quotidien qui ressemble grosso modo à ce qu’il était il y a 20 ou 40 ans (nous conduisons toujours des voitures, nous achetons toujours dans les supermarchés et regardons toujours la TV), mais qui est néanmoins régi par des supports et outils numériques et plus précisément le smartphone. Bref, la transformation numérique est bien réelle, mais il faut être attentif pour en mesure l’ampleur, et surtout pour se rendre compte qu’elle accélère.
Les faits marquants de 2018 et ce que ça change pour vous
Il s’est passé quantité de choses cette année, à tel point que nous en perdons la notion du temps (Time is different now). Pour vous remettre les idées en place avant d’aborder les tendances, je vous propose un résumé des temps forts numériques de l’année :
- Des scandales à répétition. Que ce soit les affaires Cambridge Analytica (The great British Brexit robbery: how our democracy was hijacked), SuperMicro (The Big Hack: How China Used a Tiny Chip to Infiltrate U.S. Companies) ou les mises à jour d’Apple qui ralentissent les vieux iPhones (Cracking the Apple Trap), un sentiment de défiance par défaut est en train de s’installer durablement dans l’inconscient collectif, et chacun peut aisément le comprendre. Il est donc de votre responsabilité de vous adapter à cette défiance par défaut et de vous assurer que vous conservez la confiance de vos clients.
- De nombreuses failles et attaques de sécurité. C’est bien simple, il ne s’est pas passé une semaine sans que l’on nous annonce une faille de sécurité ou un vol de données confidentielles. D’après Lloyd’s, les attaques informatiques auraient coûté entre 450 et 600 MM$ dans le monde en 2017 (Les risques de cyberattaques sont sous-assurés en Europe). Personne n’est à l’abri de ce phénomène, des PME aux géants de la logistique (The untold story of NotPetya, the most devastating cyberattack in history). La raison de cette recrudescence est que les cyber-attaques sont une activité rentable, à vous de vous en protéger ou à minima de prévoir un scénario de crise en cas d’attaque.
- L’effondrement des crypto-monnaies. En début d’année, la valeur du Bitcoin est montée jusqu’à 30.000 $, aujourd’hui elle est redescendue sous la barre des 4.000 $. Il en résulte une grosse déperdition de valeur (Cryptocurrencies suffer $18 billion drop in value over three days et WTF is happening to crypto?) et de 5 MM$ de capitaux “piégés” dans des crypto-monnaies au bord de la disparition (Over 800 cryptocurrencies are now worthless). Face aux réels problèmes de volatilité et de solvabilité, le gouvernement a décidé de réglementer ce gros bazar : France introduces ICO regulations to protect investors.
- Fake news, real deaths. Très peu en parlent en France, mais le phénomène des fake news a prit une incroyable ampleur en Asie, et plus particulièrement en Inde et en Birmanie où des fausses rumeurs ciblant des communautés ethniques ont engendré des lynchages (Facebook still isn’t taking Myanmar seriously). Assurément une triste histoire, dont nous ne sommes pas à l’abri.
- L’entrée en vigueur de la RGPD. Nous en avons énormément parlé cette année (), pourtant l’entrée en vigueur de la Régulation n’a pas ralenti le rythme d’envoi des newsletters non sollicitées malgré de nombreux rappels à la loi (RGPD : quel bilan 6 mois après son entrée en application ?). En revanche, ça grogne du côté des annonceurs et des régies publicitaires (Why a French ruling against a small mobile ad firm has ad tech on the defensive). Là encore, j’espère que vous êtes en accord avec la nouvelle règlementation et que vous anticiper par la même l’arrivée de la nouvelle version de la directive e-Privacy qui sera encore plus contraignante.
- La valorisation de Apple et Amazon qui a dépassé les 1.000 milliards de $. Ce fut bref, mais c’est une étape significative franchie par les GAFAM dans leur domination de l’économie mondiale (L’accélération numérique est une réalité, et elle profite surtout aux GAFA). Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, deux sociétés ont dépassé le seuil symbolique du billiard de dollars (Amazon touches $1 trillion, on pace to overtake Apple).
- La généralisation des smartphones à 1.000 €. Que ce soit chez Apple, Google, Samsung, Huawei ou Oppo, tout constructeur avec un minimum d’ambition se doit de lancer un smartphone haut de gamme (iPhone X, Galaxy Note 9 : en un an le smartphone à 1000 euros est devenu normal). À partir du moment où les consommateurs sont prêts à débourser un demi-loyer dans un smartphone, ce n’est certainement pas pour le regarder moins que le précédent. L’approche “mobile first” n’est pas qu’une phrase-choc que l’on met dans des présentations, c’est une discipline à laquelle il faut s’astreindre pour ne pas être en décalage avec le marché.
- L’essor de la réalité augmentée / virtuelle. Là encore, je me suis largement exprimé sur ce sujet cette année (Tour d’horizon des dernières nouveautés de la réalité augmentée – mixte – virtuelle). Vous pouvez rester sceptique sur le rythme d’adoption, il n’empêche que les barrières à l’entrée sont plus basses que jamais grâce à des outils de création plus abordables et des bibliothèques d’objets 3D mieux fournies.
- L’arrivée à maturité des interfaces naturelles. Recherche vocale et recherche visuelle rentrent petit à petit dans les moeurs à mesure que le parc de smartphones est renouvelé. Ces nouveaux usages vont se transformer en usages réguliers, puis en attentes et enfin en exigences. Il faut vous y préparer, car les NUI sont une réalité : Les interfaces naturelles nous préparent à l’ère post-smartphone.
Tous ces petits changements et nouveaux usages mis bout à bout influent considérablement sur le marché et modifient de façon irrémédiable le comportement des consommateurs. Devenus plus méfiants et plus exigeants, ils sont aujourd’hui beaucoup plus durs à appâter, transformer et fidéliser. La faute à ces innombrables sollicitations qu’ils subissent toute la journée (Do we really see 4,000 ads a day?). Vous pouvez vous plaindre de ces clients satisfaits, mais pas fidèles ; mais vous ne pouvez pas rester sans réagir en croisant les doigts pour que les méthodes et leviers utilisés au siècle dernier fournissent les mêmes résultats. Ça n’arrivera pas, aucune chance. C’est à vous de vous adapter à cette nouvelle réalité.
Les tendances 2019 et ce qui va changer pour vous
Intéressons-nous maintenant à ce qui va monter en puissance l’année prochaine et dont il faudra tenir compte :
- L’avènement de la freelance economy. Saviez-vous que 95% des entreprises françaises font appel à des travailleurs indépendants (Freelances : les entreprises adaptent leur politique RH) ? Il existe de multiples raisons à l’essor de l’auto-entrepreneuriat, toujours est-il que c’est une solution bien pratique quand on est à la recherche de compétences ponctuelles (ex : rénovation du SI ou d’une application critique pour une PME) ou fractionnées (ex : un Chief Digital Officer à mi ou quart-temps).
- Le déploiement de la 5G. Les opérateurs se livrent en ce moment à une guerre psychologique à coup d’annonces fracassantes sur celui qui déploiera la 5G le plus tôt, pourtant la norme et toutes ces ramifications sont à peine entérinées… Toujours est-il que la disponibilité de la 5G approche, et qu’elle s’accompagnera de nouvelles offres et solutions plus simples, plus compétitives (cf. Enjeux et usages de la 5G publié en 2017).
- L’intelligence artificielle dans votre poche. J’ai publié la semaine dernière un article dont je suis très fier sur les récentes prouesses logicielles de Google ou Tesla (5 ways Google Pixel 3 camera pushes the boundaries of computational photography et Tesla starts rolling out Model 3 update to reduce braking distance by up to 20 ft). Le fait de pouvoir améliorer les performances matérielles et la durée de vie d’un produit à l’aide d’une mise à jour logicielle n’est pas anodin, surtout pour l’expérience client et le niveau d’exigences des consommateurs. Si vous vous contentez de fournir le même produit, avec le même niveau de service depuis des années, vous risquez d’avoir un problème de valeur perçue. Il sera alors largement temps de revoir votre offre (Agilité et servicisation sont les ingrédients du marketing du futur).
- Des services de conciergerie automatisés. Entre l’assistant Google (disponible en France depuis plusieurs mois), Duplex qui commence à être déployé aux US (Google’s Duplex is rolling out to Pixel owners, here’s how it works) et Screen Call disponible pour les bêta-testeurs (Google Assistant call screening is now rolling out for the Pixel), nous ne pouvons plus faire comme si rien n’avait changé. Avec ces différents services, Google-Amazon-Apple et cie sont en train de bâtir une frontière autour de ses utilisateurs, quiconque veut la franchir doit payer des droits de douane (L’hégémonie des GAFA leur permet de majorer la taxe numérique).
- Des intelligences artificielles au service des TPE-PME. J’ai beaucoup parlé des IA l’année dernière, le sujet continue de fasciner et d’intriguer, mais nous progressons petit à petit vers une utilisation généralisée. La nouveauté est qu’il existe maintenant un écosystème de startups très dense (Etude KPMG/FEVAD : L’Intelligence Artificielle au service du e-commerce), ainsi que des offres parfaitement mûres à disposition des commerçants (Les caméras d’Angus.ai analysent le comportement des clients et Avec Dencity, Wassa aide les retailers à analyser les comportements de leurs clients en magasin) ou d’acteurs plus gros (Le Groupe Casino met de l’IA dans son nouveau magasin parisien).
- Arrivée d’applications concrètes de la blockchain. Finissons en beauté avec le sujet le plus obscur, et de loin, mais qui bénéficie lui aussi d’offres simples et accessibles pour pouvoir en bénéficier sans avoir à mettre les mains sous le capot (Huit banques dont HSBC et BNP lancent une Blockchain de commerce international, Traçabilité alimentaire : Carrefour rejoint IBM Food Trust et A French supermarket giant is blockchainifying organic carrots).
Comme annoncé en début d’article, il y a bien une accélération dans l’évolution des usages et technologies. 2019 ne sera vraiment pas l’année où vous pourrez souffler et capitaliser sur les dispositifs numériques des années passées. Des décisions devront être prises, de nouvelles initiatives devront être lancées et une montée en compétences devra impérativement être opérée pour ne pas aggraver votre dette numérique et vous laisser distancer par la concurrence.
Vous pouvez consulter le diaporama de mon intervention ici :
Pour la vidéo, je n’ai trouvé qu’une captation partielle chez Nathalie Tachet (Compte-rendu du salon Connect’in de Lorient) :
Merci encore à l’équipe organisatrice de Connect’in Lorient de me donner l’occasion de m’exprimer sur ces sujets. À l’année prochaine !
Pour l’IA la révolution est en cours mais pas encore finie. Pour le moment je trouve l’IA assez bête dès qu’on sort de sujet très limité (calcul d’itinéraires, jouer au échecs, …).