Suite à mon article précédent sur l’émergence de nouveaux terminaux pour répondre aux nouveaux usages numériques, je me penche ce coup-ci sur les usages en entreprise : big / smart data, intelligence artificielle, agilité… sont autant de nouvelles exigences qui poussent les collaborateurs vers de nouveaux modes de collaboration. Tout ceci ne peut bien évidemment pas se faire avec les outils traditionnels (emails, fichiers Excel…). Je vous propose de faire un tour d’horizon de ces nouvelles pratiques ainsi que des différentes catégories d’outils leur correspondant.

Des outils bureautique qui datent de Windows 95
Saviez-vous que les protocoles de messagerie électronique que nous utilisons aujourd’hui datent du milieu des années 90 ? Figurez-vous que cela fait près de 25 ans que notre principal outil de collaboration est l’email (à travers les protocoles SMTP, POP3 et IMAP). C’est également à cette époque qu’est sortie une version majeure du système d’exploitation de Microsoft (Windows 95) qui s’est imposée comme la référence absolue sur les ordinateurs et a permis à la firme de Redmond d’imposer par la même sa suite bureautique Office.

Nous sommes quasiment en 2020 et nous travaillons grosso-modo toujours avec les mêmes outils : des fichiers bureautiques (Word, Excel ou PowerPoint) que l’on s’échange par email. Pourtant, je pense que toutes celles et ceux qui font perdurer cette tradition connaissent les limites de ce mode de fonctionnement et s’en plaignent. Mais bon, les habitudes ont la vie dure…
Heureusement, les choses évoluent petit à petit, notamment avec l’avènement du Software-as-a-Service qui représente maintenant la moitié du marché (Le logiciel en ligne devient un standard en France). Non seulement ces logiciels en ligne simplifient grandement le déploiement et les mises à jour, mais ils facilitent également la collaboration. Travailler à plusieurs mains sur Google Docs ou Google Sheets est ainsi une vraie révélation pour toutes celles et ceux qui ont galéré avec les multiples aller-retour de fichiers via email.

Mais le passage en ligne d’outils existant (traitement de texte, tableur…) ne résout pas tout, car au cours des années 2000, la priorité n’était plus donnée aux tâches bureautiques (saisir des contenus ou données), mais au déploiement de contenus et supports numériques (sites web, intranets, médias sociaux…). L’objectif pour les entreprises était d’étendre leur présence en ligne et de bâtir leur écosystème numérique. Pour se faire, elles avaient besoin de faire collaborer entre eux des collaborateurs/trices de différents services, que ce soit pour la mise en ligne et la gestion d’un site web, comme pour l’animation d’un compte sur les médias sociaux. Se sont alors développés, tout une série d’outils en ligne de gestion de projet comme Basecamp, Podio, Asana…

L’email n’est plus compatible avec l’environnement VUCA
Nous sommes aujourd’hui dans un environnement concurrentiel dominé par la l’incertitude et la volatilité (Quels outils et pratiques marketing dans un monde VUCA ?). L’important n’est plus de mener à bien un projet, mais de s’adapter rapidement aux aléas du marché, de réagir vite et ensembles. D’où le succès de solutions de collaboration reposant sur la circulation de l’information (ex : Slack, Teams, TalkSpirit…) ou de gestion de projet / planification (Trello, Pipefy, Hive, Monday…).

Problème : tout ne peut pas se résoudre en partageant de l’information ou en collaborant à plusieurs sur un document. Parfois, la résolution de problèmes doit passer par des modes de collaboration plus sophistiqués. D’où l’émergence d’une nouvelle catégorie d’outils permettant aux équipes de pousser encore plus loin l’auto-organisation. J’avais déjà commencé à parler de ces nouveaux outils dans le domaine du marketing dans un précédent article (De l’évolution des profils marketing pour faire face aux nouveaux défis du numérique) ou même des plateformes de micro-applications qui s’inscrivent dans cette démarche (Le mythe du système d’information à la carte se précise).
Des outils comme Airtable, Smartsheet, Wrike ou encore Notion proposent ainsi différentes fonctionnalités propres aux tableurs et base de données, ou aux solutions de planification et gestion des tâches.

La philosophie de ces outils est de proposer plusieurs modes de collaboration et de laisser les équipes libres de choisir celui qui fonctionne le mieux en fonction du projet ou du contexte. C’est en quelque sorte une façon agile d’aborder l’agilité ;-)

Des solutions de collaboration intégrées aux plateformes et places de marché
Si vous suivez régulièrement ce blog, alors vous connaissez déjà ma fascination pour les plateformes, que ce soit pour les particuliers, les entreprises ou les médias (Les plateformes numériques digèrent le monde). La force des plateformes est de simplifier la rencontre entre l’offre et la demande, donc implicitement de minimiser les coûts de mise en relation et de transaction.
Il existe une multitude de plateformes et places de marché pour connecter quasiment tous les particuliers et professionnels, quel que soit le domaine d’activité. À partir du moment où une plateforme est légitime sur un secteur, il est tout à fait pertinent pour elle de proposer les outils de collaboration associés. C’est d’ailleurs ce que décrit très bien Benedict Evans dans son dernier article (New Productivity) où il est question de solutions de collaboration avec une approche verticale (ex : EverLaw pour les avocats).

Avec ces outils, nous nous rapprochons de ce que proposaient les places de marché verticales des années 2000, et notamment VerticalNet qui a explosé en vol, mais était précurseur dans ce domaine. Vous noterez au passage que SalesForce essaye à son tour de relancer la dynamique autour des communautés professionnelles verticales (Salesforce doubles down on verticals, launches Manufacturing and Consumer Goods Clouds).
Dans cette logique de facilitation de la mise en relation et de la collaboration entre clients et fournisseurs, Microsoft aurait déjà dû largement s’imposer, en s’appuyant notamment sur le rachat de LinkedIn et sur leur Work Graph, mais il faut croire qu’ils ont mieux à faire…
De la co-création de documents à la co-préparation de données
Comment parler de collaboration en entreprise sans aborder le sujet de la data ? Dans un contexte de recherche effrénée de la performance, les données sont le nouvel or noir, la matière première des entreprises connectées. Quand on sait que 80% des données ne sont pas accessibles à travers les moteurs de recherche (ce sont des données privées) et que la moitié des entreprises exploite moins de 25% de la donnée collectée et analysée, on imagine aisément l’intérêt pour les entreprises de muscler leur jeu, à condition d’avoir la bonne approche, la bonne culture et les bons outils pour le faire !
Avec l’avènement des systèmes experts et de l’IA, je ne devrais pas avoir à vous expliquer l’importance stratégique des données pour les entreprises (cf. Pourquoi l’intelligence artificielle ? Pour faire plus avec moins et De l’apport de l’intelligence artificielle pour la quatrième révolution industrielle). Le problème est que la capacité de déploiement d’intelligences artificielles des entreprises est limitée par les compétences qu’elles ont à disposition. D’une part, il y a un véritable goulot d’étranglement dû au faible nombre de profils de data scientists disponibles sur le marché ; d’autre part, ces profils ne disposent pas nécessairement quelles données sont disponibles et où. La priorité pour les entreprises est donc de cartographier les données internes / externes les plus pertinentes et de mobiliser leurs collaborateurs (pas simplement les data scientists ou analysts) pour les exploiter.
Très clairement, l’avenir de la collaboration en entreprise n’est pas de se mettre à plusieurs pour rédiger un contenu (nous avons Office 365 ou GSuite pur ça) ou pour créer un tableau de bord de suivi d’activité (les outils de Business Intelligence le font très bien). L’important, ce qui va permettre à l’entreprise de sur-performer, est de pouvoir identifier, collecter et raffiner les données. La réelle valeur ajoutée va se situer dans la phase de préparation des données pour générer les modèles de traitement les plus performants, ceux qui prendront en compte toutes les données disponibles et auront le moins de biais.

Cela fait longtemps que les géants du web ont compris l’importance de la donnée, notamment Google qui a commencé à bâtir son offre il y a plus de 10 ans avec le rachat de NeedleBase et MetaWeb (cf. cet article publié en 2010 : Du contenu roi aux données reines). Leur offre se concentre aujourd’hui autour des deux outils (Unlock insights with ease: Data Studio and Cloud Dataprep are now generally available) et continue de s’étoffer (Google to acquire Looker).
Le rachat de Looker et celui de Tableau à quelques semaines d’intervalle pour plusieurs milliards de dollars démontre l’énorme enjeu de la maitrise de la donnée et implicitement des solutions de manipulation / collaboration autour de la donnée (Salesforce s’empare de Tableau pour 15,7 milliards de dollars).

Certes, il existe des outils bien plus puissants d’analyse statistique et de manipulation de la donnée (RStudio, SPSS ou SAS), mais ils sont réservés aux spécialistes. L’intérêt de solutions comme Tableau Prep Builder ou Google Cloud Dataprep est de fournir aux experts métiers des outils simples d’accès pour faire un premier niveau de collecte et de préparation des données (De l’importance des experts métiers pour entrainer les intelligences artificielles).

Si ces outils évitent aux collaborateurs de devoir apprendre des langages de manipulation de la donnée comme R ou Python, ils demandent néanmoins un minimum de savoir-faire et de rigueur pour ne pas introduire de biais dans les jeux de données. Leur exploitation à grande échelle doit donc s’accompagner d’une montée en compétence et de la transmission d’une culture de la donnée pour identifier les sources les plus pertinentes, les collecter dans de bonnes conditions, agréger les différents jeux de données, les manipuler / raffiner, les partager, les interpréter… (La donnée est un enjeu majeur de l’accélération digitale).
Tout le monde est aujourd’hui témoin des dérives engendrées par la généralisation de l’email et des outils bureautique sans formation préalable : les collaborateurs ayant dû apprendre sur le tas, ils ont développé de très mauvaises habitudes et ont favorisé l’émergence de dérives qui nous font perdre aujourd’hui beaucoup de temps et/ou génèrent beaucoup de stress. Pour ne pas reproduire une telle erreur avec cette nouvelle génération d’outils centrés sur la donnée, il convient donc de procéder à une montée en compétences en bonne et due forme. Ceci donne logiquement l’avantage aux éditeurs qui proposent les solutions et la formation des collaborateurs (ex avec les modules de Data Literacy de Qlik).
La performance à travers l’agilité, les plateformes et la datalphabétisation
J’ai déjà eu l’occasion de vous expliquer par le détail l’impact de l’accélération numérique (La transformation numérique entre dans une phase exponentielle et De l’émergence de super-puissances numériques). Face à cette réalité, il semble illusoire de chercher à améliorer ses performances avec les mêmes organisations (pyramidales), les mêmes méthodes (top-down) et les mêmes outils (des fichiers Excel envoyés par email), et pourtant… (cf. Document Inferno: The 9 Circles of Email Routing Hell).

La recherche de la performance est une quête éternelle pour les entreprises, et je ne prétends pas en détenir la formule secrète. Néanmoins, depuis le temps que nous y réfléchissons, certaines pistes semblent fournir de très bons résultats (transversalité, agilité, plateformisation, exploitation intensive de la donnée…). Le problème, comme toujours, est qu’elles se heurtent à la résistance au changement et à la peur de sortir de sa zone de confort. Et comme toujours, je formule inlassablement la même conclusion : il est primordial pour les entreprises de mener à bien un travail d’acculturation au numérique pour faire prendre conscience aux collaborateurs qu’ils devraient plus avoir peur des GAFAM et nouveaux entrants numériques que du changement. La pédagogie est alors de mise pour leur expliquer qu’il est dans l’intérêt commun de remettre en question les habitudes et outils pour pouvoir mieux s’adapter à l’environnement concurrentiel du 21e siècle.
Merci pour l’article, j’ai beaucoup appris et ça m’a conforté dans ma volonté de me séparer au mieux de l’email !
Je me forme justement à R … ne connaissais pas Tableau Prep Builder et Google Cloud Dataprep ; même si je connaissais les solution Tableau et Google Cloud