Quand j’ai commencé à travailler dans le web il y a 20 ans, c’était un territoire inconnu pour les annonceurs, étrange, mais terriblement prometteur. Même s’il s’est passé de nombreuses choses depuis (euphémisme), avec les nombreuses innovations technologiques et les changements rapides d’usages de ces dernières années nous sommes quasiment revenu à la situation de départ : un territoire étrange et mystérieux pour les annonceurs où tout est possible, à condition de faire de gros efforts et d’abandonner définitivement les pratiques de communication d’après-guerre.
Les bannières sont condamnées à court terme
Si vous travaillez dans le web et que vous disposez d’une connexion en état de fonctionner, alors vous n’êtes pas censé ignorer qu’il y a un gros problème avec les bannières (Sauvons le marché de la publicité en ligne : tuons les bannières !). 10 années de dérives publicitaires qui ont amené de nombreux internautes à s’équiper en bloqueurs de bannières (Survey shows US ad-blocking usage is 40 percent on laptops, 15 percent on mobile), même en France où 1/3 des internautes sont maintenant protégés des agressions publicitaires répétées (Les Français gros consommateurs d’adblocking).
Certes, les éditeurs ont bien tenté de faire de la résistance avec différentes initiatives de bloqueurs de bloqueurs de bannières, mais c’était sans compter les chercheurs d’universités US qui ont mis au point un système reposant sur du machine learning pour bloquer les bloqueurs de bloqueurs de bannières : What publishers and advertisers need to know about Princeton and Stanford’s new super ad blocker.
Une situation délicate où personne ne semble se comprendre… Heureusement que certains acteurs de la publicité (plus matures que d’autres) ont décidé de prendre les choses en main et de proposer des choses concrètes (Coalition for Better Ads Releases Initial Better Ads Standards for Desktop and Mobile Web in North America and Europe). Une initiative mondiale approuvée d’ailleurs au niveau national (L’IAB France soutient les recommandations de la Coalition for Better Ads pour une publicité digitale pertinente).
Je n’ai eu de cesse ces dernières années de vous répéter que les bannières étaient condamnées, mais nous avons maintenant une date : le 1er janvier 2018. D’ici la fin de l’année, Google devrait sortir une nouvelle version de son navigateur intégrant un filtre pour les bannières ne respectant les standards dictés par la Coalition for Better Ads : Google’s Chrome ad blocker coming to both PC and mobile within 6 months.
Sachant que le navigateur de Google représente presque 2/3 de parts de marché (cf. Chrome Declared Winner et Chiffres clés : les navigateurs Internet), je pense que l’on peut une bonne fois pour toutes décréter que les bannières sont mortes. Certes, le filtre prochainement intégré dans Chrome permettra bien d’afficher des publicités, mais elles devront être élégantes, pertinentes et ne pas nuire à l’expérience de navigation. Autant dire que vous pouvez faire un trait sur vos pavés de promotions qui clignotent et vos vidéos qui hurlent des slogans proclamatoires d’après-guerre (“ma lessive lave plus blanc“, “ma voiture est plus sûre“, “mon produit est tellement bien que je vous le propose à -30%“…).
Vous conviendrez que ce n’est pas une si mauvaise chose, après tout, nous sommes au XXIe siècle, non ?
Plus personne ne fait attention à vous
Donc… si un annonceur ne peut plus s’exprimer à travers des bannières, il peut toujours le faire avec de la publicité native, et notamment des messages sponsorisés. Certes, mais dois-je vous rappeler que la compétition pour l’attention n’a jamais été aussi forte sur les médias sociaux (notamment Facebook qui s’approche des 2 milliards d’utilisateurs) et sur les pages de résultats de recherche (Les Featured Snippets font chuter de 20% le taux de clics du 1er résultat organique). Une compétition exacerbée par la migration des usages vers les smartphones où la zone d’affichage est beaucoup plus petite (Le smartphone est la pierre angulaire de la civilisation du XXIe siècle).
L’avènement des terminaux mobiles est un autre sujet sur lequel je suis intarissable, et qui est encore largement sous-exploité par les annonceurs. D’autant plus que les smartphones sont la porte d’entrée vers de nouveaux usages comme la réalité virtuelle ou la réalité augmentée. Le problème des annonceurs est qu’ils s’obstinent à exploiter les smartphones comme des supports publicitaires traditionnels, une grosse perte de temps et d’argent dans la mesure où les attentes et usages y sont très différents, à l’image de ce qui se passe sur Snapchat (Le pirate de la Silicon Valley qui bouleverse les médias). Là encore, inutile d’essayer de refourguer vos spots TV, ça ne fonctionne pas.
En synthèse : à mesure que les consommateurs s’éloignent des modes de consommation et des médias de masse, il est de plus en plus dur pour un annonceur lambda de sortir du lot, à moins d’avoir beaucoup de moyens ou de savoir-faire. Vous pourriez me dire : “Ha oui, mais non, car justement nous ne sommes pas un annonceur lambda et possédons un savoir-faire centenaire“, et je vous répondrais : “Êtes-vous vraiment certain d’être en capacité de séduire les nouvelles générations ?“, “Vraiment certain ?“, “Pour de vrai ?” (cf. Meet the Brands, Platforms and Creators That Teens Love). C’est en se comparant à ces marques conçues par et pour les millenials que l’on se rend compte de l’écart avec les annonceurs traditionnels…
Croyez-le ou non, mais nous sommes en train de vivre un basculement de civilisation dont nous mesurons mal l’impact. Un basculement vers de nouveaux modes de consommation, de nouveaux leaders, de nouveaux médias, de nouveaux canaux, de nouvelles matières premières, de nouveaux supports et terminaux entrainant de nouveaux usages, à l’image des assistants personnels ou des chatbots. Vous noterez à ce sujet que ces nouveaux terminaux ne sont pas forcément un échappatoire pour vous dans la mesure où la compétition ne fait que se déplacer : Why the future is all about PASO — personal assistant search optimization.
Et ne pensez pas non plus que les usages et pratiques autour des chatbots et assistants personnels se stabilisent, car nous n’avons exploré que la surface des possibilités (ex : encapsulation des bots dans les résultats de recherche ou pages web, combinaison de chatbot et d’avatars – Microsoft launches Skype video bots).
Privilégiez le contenu et non le contenant
Nous avons donc d’un côté un coût de visite toujours plus élevé et de l’autre des moyens de diffusion toujours plus nombreux. Comme expliqué dans un précédent article, ceci pousse les annonceurs à reconsidérer la place de leur site web dans leur écosystème numérique (Les sites web sont-ils en voie de disparition ?). Soit, mais ça ne règle pas le problème de l’attractivité. Autrement formulé : si l’on y voit un peu plus clair dans la meilleure façon de toucher les utilisateurs (les canaux à privilégier), les exposer aux mêmes messages et publicités ne règlera rien. Il y a en effet une vraie nécessité pour les annonceurs de développer des contenus et services à valeur ajoutée pour pouvoir survivre dans un environnement VUCA et entretenir une relation durable avec des clients toujours plus exigeants (The End of Advertising, The Beginning of Relationships).
Entendons-nous bien : entretenir la relation client a toujours été une activité primordiale, mais nous parlons là d’une approche “relationship only” dans la mesure où l’inventaire publicitaire va dramatiquement se restreindre, faisant par la même exploser les coûts. Je vous rappelle à ce sujet que Facebook et Google captent aujourd’hui 80% du marché de la publicité en ligne. Ils ont investi dans milliards de dollars pour établir un duopole où ils sont les seuls à s’enrichir. La meilleure façon de réduire la dépendance à Facebook et Google est de supprimer la publicité de l’équation : créer des contenus et services qui vont à la fois attirer l’attention, séduire, convertir, satisfaire et fidéliser les clients. Le problème est que pour y arriver, les annonceurs vont devoir rentrer en compétition avec une nouvelle génération d’éditeurs qui accaparent l’attention avec des contenus et formats réellement novateurs (ex : Webedia, Vice, Vox…). Dites-vous bien une chose : pour pouvoir récupérer les parts d’audience que ces nouveaux entrants on prit, il va réellement falloir s’arracher d’un point de vue créatif, à l’exemple de cette campagne : NERF lance le Snap le plus long.
Certes, les millenials n’ont pas un gros pouvoir d’achat, nous sommes tous d’accord sur ce point, mais ce pouvoir d’achat va mécaniquement augmenter, tandis que celui des seniors va baisser… et s’éteindre avec eux. Même si les millenials ne sont pas votre coeur de cible, vous avez une obligation de renouveler la clientèle pour ne pas mettre la clé sous la porte dans 10 ans. À moins d’avoir un modèle économique ultra-rentable et parfaitement captif, mais nous savons que ce n’est pas le cas.
L’expérience reste et restera toujours le meilleur levier de différenciation
Si l’on résume : un annonceur subit aujourd’hui une pression concurrentielle énorme, il ne peut plus faire la différence avec de la publicité en ligne traditionnelle (bannières), il est fortement contraint pour la publicité native, ses contenus passent inaperçus et ses services sont noyés dans une masse de services dopés aux intelligences artificielles. Au final, le seul paramètre qu’il maitrise réellement, c’est son offre. Le moins qu’il puisse faire est de s’assurer de proposer une expérience supérieure : fluide, sans couture, valorisante…
Après l’économie de l’abondance (celle des produits, des contenus…), nous entrons dans l’économie de l’expérience, une configuration de marché où les consommateurs valorisent la jouissance plutôt que la possession (cf. le concept de Vehicle-as-a-Service – It Could Be 10 Times Cheaper To Take Electric Robo-Taxis Than To Own A Car By 2030). J’avais déjà de l’impact de l’économie de l’expérience l’année dernière, avec notamment une réflexion sur cette troisième révolution de l’entreprise (Experience is the new black).
Le basculement vers ce nouveau contexte de marché impose forcément de nouvelles règles, notamment en matière de communication (Définition, enjeux et outils de l’expérience client). Plus que jamais, les contenus et services devraient être au coeur des stratégies de conquête et de fidélisation des marques. Du brand content et des brand utilities qui viennent enrichir l’expérience ainsi que l’image de marque, et non des promotions qui la dégradent.
et le fait que l’acteur majeur de la publicité au niveau mondial se serve de sa position dominante sur le marché des navigateurs pour, de fait, rediriger la publicité vers ses espaces propres (j’ai du mal à penser que Chrome bloquera les Adwords ainsi que les pubs Youtube) ne dérange personne ?
Je cite : “Winner takes all”
Sérieusement ? C’est un peu léger comme réflexion, non ?
Donc ce n’est pas grave qu’un acteur abuse de sa place dominante pour réguler le marché en sa faveur, quitte à détruire une économie et des entreprises ?
Je ne sais pas trop quoi répondre… je ne cherche pas à défendre les GAFAM, mais il faut bien reconnaitre que Google a inventé un produit publicitaire devenu la norme (AdWords). À partir de cette position dominante, ils ont remonté la chaine pour se positionner sur d’autres produits publicitaires (Display, Video…) et creusé une douve suffisamment large pour éloigner les concurrents et se répartir 90% du marché avec Facebook. Ils ont réussi ce tour de force en 10 ans grâce à une technologie de pointe et des milliards de $ investis à droite et à gauche. Malheureusement personne ne peut leur contester cette victoire et les empêcher d’en récolter les fruits.
Je n’arrive pas à répondre à la réponse faite plus bas, Fred, donc je passe ici.
J’entends l’argument du “ils ont créé un modèle” : mais cet argument est faux.
Google n’a pas inventé la publicité sur Internet : ni le display, ni les social Ad, ni les pre-roll sur les vidéos, etc.
Ils se sont positionnés sur un marché et ont profité de leur position forte (pas dominante partout) pour créer une nouvelle (SEA), qui venait aussi renforcer ladite position forte et la nécessité, ou presque, des annonceurs à faire du SEO. Après, je te rejoins sur un point : ils n’ont mis de couteau sous la gorge de personne et ont développé leur propre modèle.
Aujourd’hui, Google se partage le “gâteau” publicitaire digital avec Facebook, ou presque.
Et, via l’intégration d’un adblocker dans Chrome, navigateur dominant, ils disent aux annonceurs, de fait : “Ne faites plus de Display, de toute façon, sous Chrome, on bloque cette pub. Par contre, le SEA, pas de souci, ça passe encore. Oh, et par le grand des hasards, ils se trouvent que c’est ce que nous vendons”
J’appelle cela de l’abus de position dominante, voire du monopole. Et il me paraît normal de s’interroger (j’ai failli dire lutter, mais bon, c’est peut-être trop) sur de tels monopoles privés.
Après, la France est un cas particulier : peut-être le pays le plus “googlisé” au monde, donc cela va nous toucher encore plus.
Mais quand Apple, qui ne vend pas de pub, annonce un adblocker dans Safari, cela me dérange moins que quand c’est dans Google, qui se positionne aussi, en quelque sorte, un l’arbitre de la vertu : “Messieurs les annonceurs et les agences media, bouh, la mauvaise pub ce n’est pas bien, la belle pub (et les Adwords) c’est bien”. J’attends les critères objectifs pour la bonne pub (hormis les pop under, vidéos qui démarrent en automatique, etc.)
Mais c’est une bonne discussion !
Bonjour Fred,
Tout à fait d’accord avec ton diagnostic.
Je viens d’écrire 3 articles sur Frenchweb pour donner quelques perspectives sur ce sujet complexe :
– une analyse d’un phénomène de l’intrusion : http://www.frenchweb.fr/lintrusion-publicitaire-dans-le-digital/293820
– un état des lieux du native advertising :
http://www.frenchweb.fr/le-potentiel-du-native-advertising/291382
– une réflexion sur l’avenir de la pub digitale :
http://www.frenchweb.fr/lavenir-de-la-publicite-digitale/294760
A ta disposition pour échanger sur ces contributions
Daniel Bô
un grand merci pour vos articles qui valent leur pesant d’or mais en tant que créateur de start-up sans levée de fonds j’avoue que le seul moyen que j’ai trouvé pour émerger dans ce monde ultra concurrentiel est de proposer une innovation technologique et que le seul canal de comm’ que j’ai choisi est la compétition afin de donner à la marque ses lettres de noblesse mais le seul hic est que vous êtes confronté a des personnes ( fédérations) qui travaillent sur un temps long.
Ce canal de comm’ se substitue aux GAFA, car l’image véhiculée par la compétition au niveau mondial est autrement plus percutant pour le consommateur que la publicité.
bien cordialement.