Vos 3 chantiers prioritaires pour 2020 : expérience client, données et IA

Après avoir subi ou bénéficié des vagues sociales, locales et mobiles, les marques et distributeurs sont loin d’en avoir fini avec le numérique. La quatrième révolution industrielle bat son plein et apporte son lot de bouleversements, permettant à de nombreux nouveaux entrants de se faufiler à travers les mailles des toiles tissées par les grands industriels du XXe siècle qui se retrouvent maintenant bien démunis face à cette nouvelle forme de concurrence. Heureusement pour eux, les leviers pour s’en prémunir sont connus de tous : expérience client, gestion systémique de la donnée et intelligence artificielle. Encore faudra-t-il pour les mettre en oeuvre en comprendre les enjeux et surtout relever les défis culturels et opérationnels qui y sont associés.

La semaine dernière, l’ancienne économie était en liesse, car elle célébrait la fusion d’Alstom et de Bombardier pour créer un “futur géant du transport ferroviaire”. Effectivement, c’est une bonne nouvelle, surtout après la débacle de la fusion avec Siemens, mais ça reste une opération à 6 milliards de $, soit la moitié des ventes annuelles d’AirPods chez Apple (60 M d’unités à 200$ en moyenne ça fait 12 MM$). Non, je ne me moque pas, je pointe simplement du doigt une illustration flagrante du déplacement de la valeur des actifs industriels vers les outils numériques. Comprenez par là qu’avec l’avènement de la quatrième révolution industrielle, celle du numérique, il est plus rentable de concevoir des services en ligne que de fabriquer des trains.

Dans ce contexte, il est tout à fait légitime de chercher à savoir quels sont les chantiers prioritaires des entreprises pour la décennie à venir (d’anticiper le déplacement de la valeur sur son secteur) pour se préparer et revoir l’allocation des ressources. Une question complexe, car il est difficile de se projeter en ce moment tant le marché est instable, perturbé à la fois par l’accélération numérique et le corona virus. Ainsi, qui aurait ainsi pu croire il y a trois mois que l’économie chinoise (le réservoir de la croissance mondiale) allait quasiment s’arrêter ?

Ceci étant dit, si nous faisons abstraction de ce virus dont on parle peut-être un peu trop, nous pouvons nous appuyer sur un certain nombre de signaux faibles pour isoler trois chantiers prioritaires du moment : l’expérience client, la gestion de la donnée et l’intelligence artificielle. Ces trois thèmes ont déjà été abordés l’année dernière sur ce blog, mais je profite de la sortie d’une étude publiée par Adobe pour en faire une nouvelle analyse : Digital Trends 2020.

Cette étude repose sur une analyse mondiale, donc avec des données qui ne concerne pas spécifiquement la France ou même l’Europe, mais le principal enseignement que je peux tirer de cette étude est qu’outre les tendances récurrentes (centricité client, contextualisation des messages et contenus), nous retrouvons les trois thèmes cités au-dessus. De plus, un lien est tissé entre ces trois chantiers.Comprenez par là que ces trois sujets ne sont pas isolés, mais qu’ils sont interdépendants dans un contexte de transformation digitale : l’intelligence artificielle pour pouvoir traiter de grands volumes de données (en mouvement et de nature très différentes) afin d’améliorer l’expérience client.

CXP + Data + IA = 😁+ 🚀+💵

Cette semaine, Adobe et Econsultancy publient la version européenne de ce rapport : Trois thèmes essentiels en Europe issus du rapport Tendances digitales 2020. Recentrer l’étude sur plus de 4.500 entreprises du vieux continent permet de se faire une idée beaucoup plus précise de là où en sont les annonceurs européens sur ces trois sujets.

Dans un premier temps, le graphique suivant nous indique quels sont les sujets les plus intéressants pour les annonceurs : améliorer l’expérience client (22%), une gestion fine de la donnée clients (15%), des contenus engageants (14%) et des outils de marketing automation (10%).

Je ne sais pas pour vous, mais je trouve ces chiffres dramatiquement bas : 4/5 des personnes interrogées n’ont pas d’avis sur la question. Formulé autrement, en concentrant vos efforts sur l’expérience client, la donnée et l’automatisation, vous ne serez en concurrence qu’avec 1/5 du marché, les autres ayant visiblement d’autres priorités (trouver des fans sur Facebook peut-être ?).

Nous pouvons également constater qu’il y a de grandes différences entre les ambitions des entreprises américaines de leurs homologues européennes ou asiatiques. Un constat confirmé par le graphique suivant :

Là encore, l’enseignement est le même : investir dans l’optimisation de son expérience client, dans la gestion systémique de la donnée ou dans l’automatisation / personnalisation (par le biais de l’intelligence artificielle) permet de facilement se démarquer de la concurrence qui fait preuve d’une surprenante oisiveté.

La bonne nouvelle, c’est que ces trois sujets sont liés : investir dans l’un bénéficiera aux autres et inversement. Cette recherche de l’excellence et de la performance n’est en fait qu’un seul et même chantier : exploiter la donnée grâce à l’intelligence artificielle pour améliorer les contenus, campagnes et l’expérience. Pour mieux illustrer cette interdépendance, je vous propose le schéma ci-dessous :

Quand les trois chantiers sont abordés ensemble, ils génèrent des gains de performance complémentaires et permettent d’alimenter une sur-croissance. Une dynamique que j’avais abordée récemment dans cet article : Des entreprises augmentées aux entreprises exponentielles.

Pour bien comprendre de quoi il en retourne, je vous propose néanmoins d’aborder ces sujets de façon isolée.

Améliorer l’expérience pour conquérir et fidéliser les clients

J’ai déjà eu l’occasion de vous expliquer dans un précédent article qu’avec l’avènement des plateformes de mise en relation (Les plateformes numériques digèrent le monde), les marques n’avaient d’autres choix que de se différencier pour éviter le piège de la banalisation (Les capacités d’apprentissage et d’adaptation sont les piliers de l’entreprise moderne). Pour se faire, elles peuvent faire évoluer leur offre, améliorer les services ou fluidifier le parcours d’achat. Toucher à l’offre est un exercice de haute voltige et demande beaucoup de courage. En revanche, travailler sur le service et le parcours client sont des chantiers nettement moins impactants, donc plus faciles à mettre en oeuvre, ou du moins à initier (ils génèreront plus facilement de l’adhésion auprès des équipes internes et inversement, rencontreront moins de résistance au changement).

L’objectif sera toujours de séduire de nouveaux clients (ça peut arriver, mais ça semble compliqué dans un contexte de sur-sollicitation) et surtout de fidéliser les clients existants : The Loyalty Economy. Je ne vous ferais pas l’affront de vous expliquer que la fidélisation des clients est bien plus rentable que la conquête de nouveaux… mais ça fait toujours du bien de le rappeler.

Cette conquête / fidélisation ne peut pas se faire par le biais de prix bas, mais plutôt par une expérience client différenciante. Le problème est que c’est un sujet complexe (qu’est-ce qu’une expérience client différenciante ?), déjà abordé à de nombreuses reprises sur ce blog (Le B-A-BA de l’expérience client et L’important n’est pas ce que vous avez à vendre, mais le service que vous rendez à vos clients), mais qui reste vague pour grand nombre de marques et distributeurs. D’ailleurs, l’étude d’Adobe nous confirme que seulement la moitié des entreprises sondées se sentent à l’aise sur le terrain de l’expérience client :

Si la compréhension de ce qu’est et de ce que couvre l’expérience client reste complexe à appréhender, le moins que l’on puisse dire est que c’est un sujet à la mode, la preuve : les grands cabinets de conseil commencent à s’en emparer : Accélérer la croissance numérique par l’expérience, le parti pris de McKinsey et The France Customer Experience Index de Forrester.

À partir de là, les actions envisagées par les entreprises pour améliorer leur expérience client s’échelonnent comme suit : modéliser le parcours client, améliorer le ciblage et la personnalisation, optimiser l’engagement et la mesure sur les médias sociaux, perfectionner les contenus, la performance des campagnes, la conversion, l’automatisation…

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour moi le plus petit dénominateur commun de toutes ces actions est la donnée. Sans données, vous êtes aveugle et ne pouvez rien faire ou optimiser (cf. cet article publié en 2016 : La donnée au coeur de l’expérience client). En abordant le sujet de l’expérience client sous l’angle de la donnée ou non, très clairement, le principal danger pour les marques et distributeurs traditionnels est de se faire ringardiser par les nouveaux entrants issus du numérique, ces fameuses micro-marques qui maitrisent bien mieux leur expérience client (D2C companies deliver customer delight and simplicity), grâce à une offre largement plus lisible et une communication débridée, et surtout directe avec les clients. Illustration avec cette affiche pour un produit de beauté :

Non seulement ces micro-marques ont un meilleur contrôle de leur offre et des canaux de communication / distribution (plus de réactivité, plus grande marge de manoeuvre…), mais en plus, elles démontrent un réel savoir-faire dans la donnée (collecte, raffinage, exploitation…).

La gestion de la donnée pour gagner en compétitivité

Avant, il fallait payer pour produire de la donnée ; avec les supports et outils numériques, elle est produite de façon exhaustive et systématique. D’où l’importance de définir et mettre en oeuvre une stratégie efficace de gestion de la donnée, autrement appelé le master data management (La donnée est un enjeu majeur de l’accélération digitale).

L’objectif pour les marques et distributeurs est d’améliorer les performances (médias, publicitaires, ventes…) et de diminuer les coûts (acquisition, transaction, fidélisation, production…). Deux ambitions louables, mais qui se traduisent par une forte pression reposant sur des collaborateurs pas forcément formés ou outillés : 70% des travailleurs se sentent dépassés avec la data.

Pour mémoire, nous sommes en 2020 et la donnée est devenue un enjeu majeur, géopolitique, qui fait l’objet d’un plan d’investissements publics à l’échelle européenne : A European strategy for data. Un plan ambitieux pour aider les entreprises européennes à jouer à armes égales avec les géants américains ou chinois : Europe sets out plan to boost data reuse and regulate ‘high risk’ AIs.

Heureusement, les entreprises n’ont pas attendu l’UE pour réorienter leurs investissements et se doter de capacités de traitement : Marketers are spending more on data management platforms than operational tech. Une course à l’armement d’autant plus cruciale en 2020, car l’échéance approche pour la fin des cookies tiers, les third-party cookies (As cookies crumble and privacy laws intensify, DMPs are falling out of favor).

La disparition programmée des cookies tiers et le report d’attention sur les cookies internes (ceux du site web, les first-party cookies) est un des gros enjeux du moment, car cela remet complètement en cause tous les outils de mesure, de ciblage et de personnalisation (Beyond ad targeting, the demise of the third-party cookie will hit key digital media functions). Ceci explique la motivation des annonceurs à s’organiser différemment, et les marques françaises sont plutôt moteurs dans ce domaine.

Un enjeu majeur donc, notamment pour les acteurs des médias (un sujet que j’avais déjà abordé en 2017 : Les grands médias français se lancent dans la bataille de la data, vous devriez aussi !). Encore une fois, si cet article concernait les acteurs des médias, les annonces récentes des trois principaux éditeurs de navigateurs web (Google, Apple et Mozilla) ont de quoi inquiéter tous ceux dont le business ou les opérations reposent sur les cookies tiers. D’où le regain d’intérêt pour les solutions de gestion des données first-party comme les CDP.

Pour mémoire, les Customer Data Platforms sont les outils qui permettent de capitaliser sur de la donnée clients (nominative, first-party) et non sur de la donnée publicitaire / média (anonymisée, second ou third-party). Les CDP sont donc particulièrement à la mode auprès des marques et distributeurs qui ne souhaitent pas se retrouver définitivement dépendantes de Google ou Facebook. Ceci se traduit par des efforts redoublés chez les grands éditeurs pour sortir ou améliorer leur offre : Adobe announces general availability of CDP, updates to Experience Platform for improved personalization, Salesforce buys Evergage CDP platform to boost real-time personalization capabilities et Microsoft Dynamics 365 update is focused on harnessing data ; ainsi que des mouvements de concentration chez les plus petits : Acquia nabs CDP startup AgilOne et Amperity acquires Custora to improve its customer data platform.

Outre la menace des GAFA avec la disparition programmée des cookies tiers, les marques et distributeurs doivent aussi composer avec les micro-marques qui font preuve d’une meilleure maitrise de la donnée et surtout de plus d’agilité pour les exploiter : Utiliser la data pour créer ses produits : les techniques de quatre DNVB.

Il y a donc urgence pour ne pas perdre la bataille de la donnée. Si la première étape est de développer de nouvelles capacités de collecte et de raffinage, l’exploitation intensive des données ne pourra pas se faire sans de nouvelles capacités de traitement, celles offertes par l’IA.

L’intelligence artificielle pour automatiser, personnaliser et anticiper

J’ai eu de nombreuses occasions de vous expliquer le rôle que joue l’IA dans la transformation de notre société (De l’apport de l’intelligence artificielle pour la quatrième révolution industrielle) ainsi que son importance dans le cadre d’une transformation digitale (Pourquoi l’intelligence artificielle ? Pour faire plus avec moins). L’intelligence artificielle est également à l’honneur dans l’actualité européenne, car l’Union souhaite faire converger les efforts des différents pays (White Paper on Artificial Intelligence: a European approach to excellence and trust). Je vous invite d’ailleurs à télécharger le livret blanc qui est disponible en version française (que demander de plus ?).

Comme précisé plus haut, avoir recours à l’intelligence artificielle n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour pouvoir démultiplier les capacités de traitement de la donnée (Big data) et poursuivre notamment deux objectifs : automatiser les tâches à faible valeur ajoutée et faire des analyses prédictives.

Pour les marketeurs, les opportunités offertes par l’intelligence artificielle sont nombreuses : industrialiser la personnalisation et la gestion des campagnes, lutter contre la fraude, exploiter les interfaces naturelles… des opportunités qui sont davantage valorisées par les annonceurs que d’autres chantiers plus techniques (IoT, PWA, blockchain…).

Si tout le monde est d’accord là-dessus, l’adoption de solutions reposant sur l’intelligence artificielle pour doper le marketing est encore lente : L’IA vue par le Marketeurs : quel niveau d’adoption ? Une lenteur confirmée par les chiffres de l’étude, notamment pour la France :

Malgré ça, le sujet reste passionnant et surtout prolifique, car il y a tant à faire : Intelligence Artificielle & Hyperpersonnalisation du marketing. La bonne nouvelle est que les outils à disposition sont de plus en plus simples à appréhender (Deep learning isn’t hard anymore), notamment par le biais de modèles génériques prêts à adapter grâce aux techniques de transfert learning proposées en libre service par les grands acteurs (Amazon, Google, Microsoft…) : AWS veut simplifier et démystifier le machine learning.

Cependant, ne confondons pas vitesse et précipitation, l’intelligence artificielle n’est qu’un outil au service d’objectifs et nécessite une matière première abondante : la donnée. Si le potentiel est gigantesque (91% of tech execs believe AI will be at the center of the next technological revolution), le chemin reste long. D’autant plus que la qualité des jeux de données d’entrainement semble être un point bloquant que beaucoup négligent (Room for Improvement in Data Quality, Report Says), d’où cette forte interdépendance entre les sujets que j’évoquais en début d’article.

Trois chantiers, trois défis

Comme nous venons de le voir, l’amélioration de l’expérience client, la gestion systémique de la donnée et l’utilisation d’intelligences artificielles sont trois sujets liés. La mise en oeuvre de l’un nécessite celle des deux autres pour libérer tout son potentiel. Ceci ne se fera malheureusement pas tout seul, car les marques et distributeurs devront relever un triple défi :

  • culturel, avec la mise en pratique d’une réelle centricité client, pas seulement de belles citations dans des diaporamas (donc de nouvelles règles d’escalade dans la gestion des incidents, des arbitrages systématiques pour privilégier l’expérience client ou l’intégration d’indicateurs de satisfaction dans les tableaux de bord du Comité de Direction) ;
  • opérationnel et humain avec le nécessaire développement de réelles capacités de collecte / traitement / exploitation de la donnée (à la fois pour les collaborateurs, les managers, mais également les dirigeants : Data-Driven Cultures Start at the Top) ;
  • technique, avec une courbe d’apprentissage non négligeable pour implémenter des solutions d’automatisation dans les opérations courantes et du machine learning dans les processus de prise de décision (prédictions et recommandations).

Tout ceci va donc nous faire une année très chargée, au cours de laquelle personne ne risque de s’ennuyer ! À moins que le Covid-19 ne vienne définitivement perturber vos plans… Qu’à cela ne tienne, un éventuel confinement à grande échelle ne ferait que renforcer les usages numériques comme nous avons pu le constater ailleurs : Le coronavirus va accélérer la transformation numérique de la Chine.