En visite à Vivatech la semaine dernière, j’ai été très surpris par l’incroyable effervescence qui régnait sur le salon, pourtant cela fait 15 ans que je pratique ce type de rassemblement, force est de constater qu’ils ont un vrai savoir-faire pour mobiliser autant de startups. Une très bonne édition 2017 pour montrer que la France est à l’avant-garde de l’innovation (robots, automates, intelligences artificielles…), mais pas forcément une bonne chose pour des annonceurs qui ont tout à fait le droit de se sentir largués face à ce déluge de gadgets. Peut-être est-il temps de prendre du recul et de s’interroger sur l’intérêt de cette débauche de nouvelles technologies.
Un baromètre pour comprendre les motivations des consommateurs
En amont de Vivatech, j’avais participé avec les cabinets Reload et Iligo à l’élaboration d’INNOLOGY, un baromètre de l’innovation permettant de mieux comprendre les motivations et les freins des consommateurs par rapport aux innovations. Le point de départ de ce baromètre était le constat que le rythme d’innovation s’accélère, mais que personne ne s’en soucis. J’ai bien essayé d’aborder ce problème dans différents articles, mais ce baromètre est de loin la façon la plus simple de mettre en évidence un décalage entre l’offre (qui s’emballe) et la demande (qui pour le moment se maintient, mais pourrait vite décrocher si l’on ne se méfie pas).
Les résultats de ce premier baromètre ont été publiés en début de semaine dernière et je ne suis pas déçu, car cela me fournit une occasion en or de prendre un peu de recul sur cette incroyable période que nous sommes en train de traverser. Il suffit de partir 1 ou 2 semaines de vacances pour se rendre compte du bombardement incessant d’annonces de lancement de technologies disruptives et de breaking news auxquelles nous (les professionnels du numérique) sommes exposés en permanence. Parfois, ça fait un peu peur…
L’objectif de ce baromètre est donc d’avoir une approche rationnelle de l’innovation et de ne pas céder aux sirènes des technologies tellement rupturistes qu’on sait même plus à quoi elles servent (ex : The first quantum-secured blockchain technology has been tested). Entendons-nous bien : je ne parle pas ici de nouveaux matériaux comme le braeön (censé supplanter le graphène), d’informatique quantique, d’impression liquide, de fusées réutilisables ou d’utérus artificiel, mais d’innovations relatives à des produits ou services grand public. Nous nous concentrerons donc sur des objets du quotidien, disponibles à la vente, sinon vous pouvez consulter Things to Come: A Timeline of Future Technology.
Pour cette première édition du Baromètre INNOLOGY, une étude a été menée par téléphone en mai 2017 auprès d’un échantillon de plus de 800 personnes en France. Les résultats sont surprenants et permettent surtout de casser certains mythes : 7 idées reçues sur l’innovation.
Mythes et réalités de l’innovation
L’étude met donc en évidence un certain nombre de contre-vérités :
- Les séniors s’intéressent à l’innovation. Sur les 93% de sondés qui se disent intéressés par l’innovation, il n’y a pas que des jeunes, puisque 61% des 65 ans et + se disent très intéressés.
- Une innovation n’est pas forcément technologique. 60% des personnes interrogées considèrent qu’une innovation n’est pas principalement technologique. Elle n’est pas non plus nécessairement rupturiste (75% des répondants), puisqu’elle peut concerner aussi de nouveaux usages (ex : streaming musical) ou de nouveaux modèles économiques (ex : facturation par l’abonnement ou à l’utilisation). Une personne sondée sur deux juge les innovations comme une amélioration de l’existant.
- Les consommateurs sont avant tout des pragmatiques. Contrairement aux idées propagées par les médias traditionnels, les consommateurs d’innovations ne sont pas forcément des geeks en quête de technologies de pointe, car leurs attentes sont plus pragmatiques : on attend avant tout d’une innovation qu’elle nous simplifie le quotidien (pour 62% des répondants). Les notions d’originalité et de divertissement arrivent en dernière position (respectivement 25% et 18% des réponses citées).
- Les innovations ne sont pas des phénomènes de mode. Seuls 1/4 des sondés pense qu’un produit innovant sera rapidement remplacé par un autre, les consommateurs sont globalement conscients du phénomène d’obsolescence programmée et font des achats réfléchis.
- L’usage (ou le bénéfice à l’usage) est le principal facteur d’achat. Le premier facteur d’achat d’une innovation est le contenu (mise en scène du produit à travers une vidéo ou une publicité) plutôt que les caractéristiques techniques.
- Les innovations devraient bénéficier avant tout à la collectivité. Lorsque l’on interroge les consommateurs sur la fonction rêvée d’une innovation, celles qui ressortent le plus sont liées au bien collectif plutôt qu’à l’individu (préservation des ressources naturelles pou 63% et réduction des inégalités pour 49%).
- Les innovations doivent avant tout solutionner des frictions ou problèmes concrets. Les innovations qui intéressent le plus les consommateurs ne sont pas celles qui sont citées les plus souvent dans les médias (intelligence artificielle, réalité virtuelle, véhicules autonomes…), mais celles qui proposent des solutions concrètes aux grands problèmes sociétaux : énergies alternatives, impressions 3D de tissus organiques, bio-ingénierie… Seule une personne sur trois se dit intéressée par l’intelligence artificielle et seulement une personne sur deux par la livraison par drone ou les magasins sans caissière.
Nous sommes d’accord pour dire que cette étude mériterait d’être reconduite tous les 6 mois pour mesurer l’évolution de la perception des consommateurs, mais les statistiques qu’elle fournit sont particulièrement signifiantes, à l’encontre de ce que pratiquent bon nombre de sociétés : faire la course avec les concurrents pour implémenter la dernière technologie à grand renfort de campagnes de communication vantant les caractéristiques techniques du produit. #fail
Innover = rendre un meilleur service
Au cas où vous ne l’auriez pas compris : non, les consommateurs ne sont pas en recherche de casque de réalité virtuelle 8K, de capteurs dopés à l’intelligence artificielle ou d’un quotidien où l’on se fait servir et conduire par des machines (bien qu’ils soient contents d’utiliser le métro ou les DAB, mais c’est une autre histoire). Les consommateurs sont avant tout en recherche d’une meilleure expérience (plus de simplicité, praticité…), d’un meilleur rendement (plus de performance et moins de gâchis) et d’une amélioration de leur quotidien. Comme toujours, je ne saurais trop vous recommander de systématiquement partir des besoins des consommateurs, idéalement d’une analyse fine des frictions qu’ils peuvent subir au quotidien (formalisée dans une customer journey).
Je suis personnellement très content de mon casque Playstation VR, mais à 1.000 € l’envie de vomir, je me demande si je ne me suis pas un peu précipité… Je veux bien croire que j’ai le coeur sensible, mais ça fait un peu cher, non ?
Les annonceurs et fabricants devraient donc réfléchir à deux fois avant d’implanter une nouvelle technologie et d’essayer de nous la vendre comme la prochaine révolution. Loin de moi l’idée de jouer les techno-réfractaires, celles et ceux qui me lisent depuis des années savent que je suis plutôt du genre techno-enthousiaste, mais force est de constater que nous approchons dangereusement du point de saturation. Un point au-delà duquel toute nouvelle innovation ne ferait que plonger encore plus les consommateurs dans la perplexité et ruinerait leur hypothétique intention d’achat. Idéalement il faudrait explorer des innovations non-technologiques, d’une autre nature (ex : modèle économique alternatif, canal de diffusion alternatif…). Idéalement, les innovations devraient chercher à résoudre un problème ou une friction réelle dans le quotidien des consommateurs, et pas seulement chercher le fameux effet wow.
Nous ne parlons pas ici de slow innovation (quoi que…), mais de ne pas négliger le “pourquoi ?”, de mettre les besoins et contraintes des consommateurs avant l’exploit technologique. Je préfère classer cette réflexion sous l’appellation “marketing 4.0” : exploiter les nouvelles technologies non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen de mieux comprendre les besoins changeants des consommateurs dans un contexte de consommation digitale, les convaincre et les convertir en avocats de la marque (cf. Kotler’s ‘Marketing 4.0’ Argues the Marketplace Has Changed, and the Customer Is In Charge).
Sur quoi concentrer vos efforts ?
Impossible pour moi de vous livrer une quelconque formule magique (ex : “AI is the new UI“), car elle n’existe pas. Face à la complexité du XXIe siècle, il n’y a qu’une seule façon de faire face à un environnement VUCA : mettre en place une veille active et faire preuve d’agilité. Être à la fois “aware” et très souple. Tiens ça me rappelle quelqu’un…
Plus sérieusement, voici ce que je vous recommande pour prendre du recul et avoir une approche plus analytique de l’innovation :
- Prendre conscience de la situation du marché (Nous vivons une époque formidable, ou pas) et du chemin parcouru (Une troisième vague d’innovations numériques centrées sur l’expérience client) ;
- Bien appréhender le rôle du numérique dans le paysage média et le marketing ;
- Comprendre l’impact des smartphones et des plateformes dans le quotidien des consommateurs ;
- Bien mesurer l’avance prise par Facebook, Google, Amazon, Snapchat…
- Comprendre les enjeux et le potentiel de la donnée, des assistants personnels, de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée… et se préparer à l’ère post-smartphone.
Finalement ce baromètre me permet de lier ensemble tous les sujets abordés sur les 12 derniers mois et de mettre en perspective le brouhaha autour de la transformation digitale.
Je suis bien d’accord avec vous. J’essaye de me tenir à la page et chaque jour, et dans mon domaine, je suis confronté à l’apparition de deux nouveaux mots ou de nouvelles définition. Bientôt j’aurai l’angoisse de partir en vacances en étant débranché. – Guy