La semaine dernière avaient lieu les conférences annuelles des géants du numérique. L’occasion pour Facebook, Microsoft ou Google de dévoiler leurs dernières innovations et surtout de partager avec le reste du monde leur feuille de route. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette année nous n’avons pas été déçus, car nous y voyons maintenant beaucoup plus clair dans les possibles prochaines itérations de l’outil informatique. La question est maintenant de savoir si votre marque et vos offres trouveront leur place dans l’un de ces scénarios.
De la calculatrice à l’application calculatrice
Saviez-vous que le premier micro-ordinateur, le Micral N, avait été breveté il ya près de 45 ans par un français ? En plus de quatre décennies, l’ordinateur a connu des changements spectaculaires, le plus notable étant l’apparition du smartphone qui a complètement chamboulé l’ordre établi parmi les géants de l’informatique : perte de puissance du couple Windows / Intel au profit de Apple, Google, Samsung et tous les fabricants chinois (cf. History of Computer: From First Generation Of Computer To Third Generation).
Nous sommes en 2018 et l’outil informatique de référence est le smartphone avec près de 3 milliards d’unités en circulation, le chiffre exact varie en fonction de ce que l’on définit comme un smartphone (Le mobile dévore le monde, depuis 6 ans !).
Le smartphone est aujourd’hui le premier écran, mais ça n’a pas toujours été le cas, et ce n’est pas gravé dans le marbre. Non, je ne suis pas en train de prédire une nouvelle révolution pour l’année prochaine, mais de constater que certains ne ménagent pas leurs efforts pour anticiper le prochain paradigme numérique.
Si l’on se penche sur le passé, on peut ainsi constater que l’outil informatique a connu trois grandes phases :
- la mise sur le marché des premiers ordinateurs personnels qui ont rapidement conquis les entreprises, commerces et foyers ;
- la mise en réseau de ces ordinateurs avec l’avènement du web ;
- la généralisation des smartphones qui offrent quasiment les mêmes services, mais en situation de mobilité.
D’un point de vue fonctionnel, un smartphone est un ordinateur miniature qui permet d’augmenter la productivité de son utilisateur : accéder à plus de contenus et services, communiquer plus vite, sociabiliser avec plus de monde, travailler avec plus d’efficacité… Mais dans l’absolu, ça reste un outil au même titre qu’une calculatrice : il y a un clavier (physique ou tactile) et un écran. Avec les innovations de ces dernières années (réalité augmentée, réalité virtuelle, interfaces vocales) il y a une réelle rupture dans la façon d’envisager l’outil informatique. Je vous propose d’étudier ces différents scénarios pour en comprendre les implications.
Les quatre paradigmes de l’outil informatique
Comme précisé en début d’article, le concept d’ordinateur individuel a été breveté en 1971. Près d’1/2 siècle plus tard, ce concept est toujours d’actualité avec la sempiternelle formule clavier / souris. L’ordinateur individuel (desktop ou laptop) a indéniablement été la première brique de la transition numérique, celui qui a permis de populariser les traitements de texte, tableurs ou jeux vidéos. Résolument tournés vers la productivité, la valeur d’usage des ordinateurs a considérablement augmenté avec la généralisation du web et des innombrables nouveaux usages auxquels ils donnaient accès : commerce en ligne, encyclopédie en ligne, logiciels en ligne… Si l’ordinateur individuel continue d’évoluer, notamment avec des formats hybrides (Microsoft is placing a big bet on its new Surface family), il reste entièrement dépendant d’une connexion réseau et d’une source d’alimentation.
Avec les smartphones, l’outil informatique a connu un premier changement de paradigme : celui de la mobilité dont le principal enjeu n’est plus de proposer un le meilleur ratio prix/puissance, mais de trouver le bon équilibre entre l’autonomie, la portabilité et les capacités fonctionnelles. C’est donc une approche en rupture avec la recherche de puissance des fabricants d’ordinateurs (dont la consommation énergétique augmente de façon proportionnelle).
Mais là encore, vous pouvez constater que les smartphones ne proposent plus d’évolutions majeures (Quelles innovations pour accélérer le renouvellement des smartphones ?). L’utilisation de puces dédiées au machine learning est une piste intéressante, mais il est encore tôt pour juger (The Superb Huawei P20 Pro strikes the perfect balance of camera hardware and AI).
Les choses ont changé en 2012 quand Google a sorti une version fonctionnelle des Google Glass. Révolutionnaires et effrayantes, ces lunettes de réalité augmentée ouvraient la voie à de nombreux usages disruptifs et étaient annoncées comme les remplaçantes des smartphones. Boudées par le grand public et incomprises par les professionnels, elles sont à l’origine d’un second paradigme de l’outil informatique : celui de l’augmentation. L’objectif poursuivi n’est plus de proposer de la puissance ou un maximum de mobilité, mais d’augmenter les capacités de l’utilisateur sans que celui-ci ai besoin de manipuler un terminal. Pour le moment, les applications les plus intéressantes sont dans le domaine de l’industrie, mais l’arrivée d’une nouvelle génération de lunettes pourrait changer la donne : Magic Leap Secretive Start-Up Unveils Mixed-Reality Goggles. Et même si vous n’avez pas les moyens de vous acheter une paire de lunettes de réalité augmentée à 1.000$, votre smartphone peut vous donner un très bon aperçu du potentiel : Usages et enjeux de la réalité augmentée.
De même, quand la startup Oculus lance le premier modèle de son masque de réalité virtuelle en 2016, le marché se met à rêver d’un nouvel internet beaucoup plus immersif : La réalité virtuelle sera le média du XXIe siècle. Il faudra attendre encore 2 ans pour que sortent les premiers masques entièrement autonomes, ceux qui ne nécessitent pas d’ordinateur ou de smartphone comme l’Oculus Go ou le Mirage Solo de Lenovo. Avec la réalité virtuelle, nous explorons un troisième paradigme, celui de la virtualisation. Il n’est plus ici question d’aider l’utilisateur à être plus performant, mobile ou à augmenter ses capacités, mais à l’extraire de son contexte pour l’immerger dans un environnement complètement virtuel. Et comme pour la réalité augmentée, nous ne faisons qu’explorer la partie visible de l’iceberg.
Également lancée en 2016, l’enceinte connectée d’Amazon a fait beaucoup moins de bruit que l’Oculus Rift, pourtant elle proposait la première interface vocale (À quoi va ressembler l’ère post-smartphone ?). Fruit de progrès spectaculaires en matière de reconnaissance du langage, les interfaces vocales se sont très rapidement généralisées grâce aux efforts combinés des géants de la Silicon Valley : Les assistants personnels sont les nouveaux navigateurs web, et les GAFAM en sont les maitres absolus. Principal terrain d’affrontement des géants du numérique (Les GAFAM à la recherche de nouveaux leviers de croissance), les assistants personnels sont au centre de nombreuses attentions, car ils offrent d’innombrables possibilités (lancer une playlist, allumer la lumière ou le chauffage…). Il est effectivement possible de déclencher de nombreuses actions à l’aide de commandes vocales, mais le problème est qu’il faut les concevoir et les publier pour chaque plateforme (les skills chez Amazon ou les actions chez Google). Sans la création de ces skills / actions / … vous ne pouvez rien faire. Mais les choses ont changé la semaine dernière avec l’annonce de Duplex, un service permettant de prendre RDV par téléphone à votre place : Google Assistant now schedules your appointments with a phone call. Pour bien vous rendre compte des progrès réalisés, je vous incite à visionner les deux démonstrations :
Je ne sais pas pour vous; mais moi je suis complètement bluffé par cette intelligence artificielle qui comprend et se fait parfaitement comprendre malgré le bruit ambiant, et qui parvient même à reproduire des tics de langage. Avec leur interface vocale et plus particulièrement ce service bientôt proposé par Google, les assistants personnels explorent un quatrième paradigme : celui de la substitution. La finalité ici est très clairement de ce substituer à l’utilisateur pour le délaisser de tâche à faible valeur ajoutée comme prendre un RDV par téléphone. Les implications sont tellement fortes qu’ils sont déjà en train de rétropédaler pour définir un cadre éthique : Google now says controversial AI voice calling system will identify itself to humans.
Dans l’absolu, nous pourrions presque inscrire le véhicule autonome dans ce paradigme de la substitution : nous sommes passés de la conduite assistée (ABS, anti-patinage…), à la conduite augmentée (affichage tête haute), à la conduite semi-autonome (contrôle de la trajectoire), et très prochainement à la conduite réellement autonome (Le gouvernement veut faire rouler des véhicules autonomes en France dès 2020). Mais ce n’est pas le sujet de cet article.
Après quatre décennies plutôt tranquilles, l’outil informatique a donc connu récemment quatre approches en rupture. En moins de dix ans, ce n’est pas une, mais quatre pistes d’exploration majeures qui ont été ouvertes pour essayer de repenser l’outil informatique et d’anticiper le prochain paradigme numérique.
Notez qu’il y a eu également d’autres innovations majeures, qui étaient supposées révolutionner l’ordinateur (ex : les cloudbooks) ou le smartphone (ex : les montres connectées), mais qui ne proposaient pas d’approche en réelle rupture par rapport aux paradigmes de l’outillage ou de la mobilité.
Et vous pensez être à l’abri avec votre nouveau site web responsive ?
Toutes ces réflexions sur l’évolution de l’outil informatique et des services numériques nous mènent à une question très importante : quelle place votre marque ou votre offre va-t-elle occuper dans l’un ou l’autre de ces paradigmes ? Le problème est que le rythme d’innovation s’accélère, notamment sur les trois paradigmes cités plus haut, alors que les entreprises ont à peine assimilé le paradigme de la mobilité. La preuve, cela fait au moins 5 ans que je me bas pour faire entendre mes convictions au sujet des applications natives, mais je rencontre une opposition toujours aussi farouche (cf. Pourquoi les Progressive Web Apps sont la seule alternative viable aux applications natives).
Si la plupart des marques et distributeurs se sont accommodés du paradigme de la connectivité en lançant un site web, ou de celui de la mobilité en lançant une version compatible avec les smartphones, très peu sont les entreprises qui se préparent aux prochains paradigmes.
Pourtant, il existe des cas tout à fait pertinents :
- des applications de mesure des dimensions d’un paquet ou d’essai de maquillage en réalité augmentée ;
- des applications pour simuler la luminosité d’une pièce, d’autres pour faire découvrir des destinations de vacances ou scénariser une nouvelle gamme de produits grâce à la réalité virtuelle ;
- des services de prise de RDV et de conseils beauté ou d’achat de produits alimentaires à travers des assistants personnels à commandes vocales.
Croyez-le ou non, mais les technologies sont prêtes, les domaines d’utilisation sont identifiés et la valeur d’usage intrinsèquement reconnue par des consommateurs en quête de nouvelles expériences d’achat. La question se posait déjà sur les smartphones (Avec la maturation des usages mobiles, les marques doivent proposer des expériences plus variées), elle se pose maintenant sur les autres champs d’exploration (réalité augmentée / virtuelle, assistants vocaux).
Le numérique porte ceux qui l’acceptent et lynche ceux qui le refusent
En moins de deux décennies, le web a irrémédiablement modifié les habitudes de consommation, les médias et les règles du commerce. Avec l’avènement des smartphones, la transition numérique s’accélère et pénalise de façon toujours plus violente ceux qui luttent pour ne pas avoir à changer leur modèle. Avec les nombreux paradigmes numériques évoqués dans cet article, j’espère vous avoir convaincu que le rythme d’innovation ne cesse d’augmenter. Par conséquent, ceux qui se contentent de suivre le marché sont déjà en retard.
Conclusion : il n’y a pas 10.000 façons de réduire la dette numérique de votre entreprise : il vous faudra impérativement explorer ces innovations pour en comprendre l’impact, et non les discréditer avec dédain (“c’est un gadget / une mode, ça va passer“). L’histoire nous a montré que ceux qui se sont opposés au web ne sont plus là pour en témoigner. Vous voilà prévenu…
Merci pour cet article fort interessant comme tjr. Je complèterai la conclusion “ceux qui se contentent de suivre le marché sont déjà en retard” avec l’enjeu aussi de ne pas se contenter d’observer uniquement son propre marché / ou son marché concurrentiel “classique” pour analyser son avance/retard… le plus grand risque ne serait-il pas finalement de se croire en avance ?…