Cela fait plus de 20 ans que je travaille dans le milieu du web, plus de deux décennies au cours desquelles j’ai vu passer de nombreuses théories sur le nouveau marketing, et même le nouveau-nouveau marketing. C’est également un thème que j’ai abordé à de nombreuses reprises sur ce blog. Aujourd’hui, après de longs mois de maturation, il est temps pour moi de contribuer à cette réflexion en vous livrant ma théorie sur l’évolution cyclique du marketing, et surtout, sur le chemin que prend la discipline.
Une discipline très vaste avec d’innombrables définitions
Saviez-vous que le marketing en tant que discipline était né il y a plus de 80 ans sous l’impulsion de l’American Marketing Association au sortir du new deal ? Oui ça fait une longue période, au cours de laquelle les modes de consommation, médias et canaux de distribution ont subi d’immenses transformations. En revanche, le but est toujours le même : orchestrer la rencontre entre une offre et une demande. Quoi que…
En faisant une recherche rapide sur Google ou Wikipedia, on tombe sur des définitions qui font froid dans le dos : “Le marketing est un état d’esprit, largement fondé sur l’intuition et l’imagination, qui mobilise tous les moyens possibles pour communiquer avec le consommateur” ou encore “Le marketing est une fonction de l’entreprise dont le rôle est d’assurer le futur de celle-ci“.
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Un “état d’esprit largement fondé sur l’imagination” ??????? Non je ne pense pas, le marketing est une discipline quasi scientifique qui repose sur l’observation, les données et surtout l’agnosticisme (“je ne sais rien, les clients savent”).
Une “fonction de l’entreprise dont le rôle est d’assurer le futur de celle-ci” ?????? Heu… trouver un fournisseur d’électricité pour faire tourner les ordinateurs fait donc partie des responsabilités des marketeurs ? Comme vous pouvez le constater, la profession s’est très clairement perdue en chemin avec des tentatives de réinvention ou de rebranding comme le Inbound ou le Pinko Marketing dont je parlais il y a plus de 10 ans.
Certains pourraient arguer qu’il y a le marketing de terrain et le marketing stratégique, à savoir “le choix du ou des marché(s) sur le(s) quel(s) l’entreprise ou l’organisation décide de se battre et de la définition générale de son attitude et de son positionnement face aux concurrents qui s’y trouvent“. Mais d’une part, je désapprouve cette dichotomie des pratiques (est-ce qu’il y a de la publicité de terrain et de la publicité stratégique ?). Et d’autre part, je veux bien admettre que le mot “stratégie” trouve son origine dans la littérature militaire (il vient des mots grecs “stratos” signifie “armée” et “ageîn” signifie “conduire”), mais de là à adopter leurs termes (“se battre”), c’est un peu trop agressif pour moi.
Ceci étant dit, comme le dit le proverbe : la critique est facile, l’art est difficile. Celles et ceux qui me lisent régulièrement savent que le sujet est complexe et que je m’y suis risqué à de nombreuses reprises :
- La transformation digitale impose de nouveaux outils marketing, mais surtout de nouvelles méthodes
- De l’inévitable rapprochement entre marketing et technologie
- Vers un marketing 10.0 ?
- De l’inexorable montée en puissance des MarTech
- Il n’y a plus de marketing digital, mais du marketing pour des clients digitaux
- Les IA sont-elles l’avenir du marketing ? Certainement…
- Quels outils et pratiques marketing dans un monde VUCA ?
- L’avènement du marketing augmenté
- Du growth hacking au growth marketing
- Agilité et servicisation sont les ingrédients du marketing du futur
Cela fait de nombreux mois que je me creuse la tête pour essayer de donner du sens à tout ce brouhaha, et je pense avoir enfin trouvé la bonne façon d’exprimer ma vision à travers une théorie du tout, une théorie qui peut lier entre elles les pratiques traditionnelles, celles du e-marketing, les nouvelles pratiques, les nouveaux outils… et surtout de revenir aux fondamentaux, ceux qui n’auraient jamais dû changer.
Évolution cyclique du marketing : tout change, mais rien ne change
Celles et ceux qui travaillent au quotidien dans le milieu du marketing peuvent témoigner de l’évolution flagrante des pratiques : nous sommes passés des sondages en sortie de caisse et relevés de linéaires au design thinking et DMP. Une authentique révolution, mais qui pourtant n’est que l’évolution logique des pratiques et outils. Pour illustrer cette évolution et surtout son caractère cyclique, je vous propose un schéma un peu complexe, certes, mais qui a le mérite de proposer une vision d’ensemble. Ce schéma se lit de gauche à droite, selon trois lignes qui représentent les trois grandes approches du marketing : traditionnel, digital et expérientiel.
Tout part donc de la définition du marketing, je propose cette définition très académique qui reflète les fondamentaux de la discipline : “L’ensemble des actions ayant pour objectif de prévoir, de constater, de stimuler, susciter ou renouveler les besoins du consommateur, et d’adapter en conséquence l’appareil productif et l’appareil commercial“. Cette définition, et donc les actions qui y sont listées, s’applique aux médias traditionnels (TV, radio, presse, cinéma, affichage, supports imprimés…) ainsi qu’aux circuits traditionnels (grande distribution, distribution spécialisée, magasins de proximité, VPC…) à travers les disciplines traditionnelles (publicité, marketing direct, communication événementielle, sponsoring, promotions sur le lieu de vente, relation presse…).
Ces médias et circuits de distribution sont maintenant fortement bousculés par les supports et canaux numériques (De la lente agonie des médias traditionnels face au numérique). Néanmoins, nous pouvons extraire de la définition un certain nombre de missions qui ne changent pas : comprendre le marché, segmenter l’audience, concevoir l’offre, distribuer l’offre, augmenter la visibilité, attirer et transformer les prospects, satisfaire et fidéliser les clients, et enfin faire évoluer l’offre. Des missions immuables qui s’appliquent aussi aux supports numériques : sites web, portails (ex : Yahoo), moteurs de recherche (ex : Google, Bing) , médias sociaux (ex : Facebook), marketplaces (ex : Amazon, Fnac), smartphones… Des missions qui se déclinent en pratiques (display, e-mailing, affiliation, SEO/SEA, analyse d’audience, community management, publicités natives, offres géolocalisées…) à l’aide d’outils dédiés (content management system, web / mobile / social analytics et gestionnaires de campagne).
Ces derniers temps, les missions traditionnelles du marketing sont complétées par de nouveaux enjeux comme l’expérience client, la RGPD, la confiance, l’agilité… de nouveaux enjeux qui sont liés aux nouveaux supports (plateformes, objets connectés, assistants digitaux, réalité augmentée ou virtuelle…) qui stimulent de nouvelles pratiques (brand content, growth hacking, design thinking, usability, influenceurs, machine learning…). De nouvelles pratiques héritées des pratiques traditionnelles (les campagnes de micro-influenceurs sont très proches des programmes d’affiliation d’antan) mais qui nécessitent de nouveaux outils (data management platform, customer data platform, digital asset manager, solutions des marketing automation ou de prototypage rapide, chatbot et autres interfaces naturelles…). De nouveaux outils qui servent également dans le cadre des disciplines traditionnelles (ex : programmatic TV, promotions in-store…).
Comme vous pouvez le constater, il y a bien eu une évolution marquée des pratiques et outils pour mieux correspondre aux nouveaux besoins et comportements des consommateurs, mais pas de rupture, car les médias, canaux et disciplines se complètent : les outils de web analytics ne remplacent pas les enquêtes de terrain ou les focus groups, les offres géolocalisées peuvent indifféremment être diffusées via notification, SMS ou prospectus.
Vers un marketing intégré
Vous l’aurez compris, tout l’intérêt de ce schéma est de vous exposer une vision d’ensemble qui englobe les différents courants (marketing traditionnel, e-marketing, growth marketing, CXP…) sans les opposer.
Cette intégration est non seulement la clé de la performance (en mutualisant les ressources et données), mais aussi un moyen de faciliter la transition numérique sans bousculer les CEO / CMO qui ont fait l’essentiel de leur carrière dans un contexte marché où la TV et les hypermarchés étaient rois. De plus, l’intégration des pratiques et la synchronisation des campagnes permettent de proposer une expérience réellement sans couture, pour de vraiment vrai ! Une expérience où l’on ne scinde plus les clients en et hors ligne, où l’on réconcilie les générations de praticiens et de clients.
Non, je ne suis pas en train de vous expliquer que c’était mieux avant, car en 20 ans, les pratiques de marketing numérique ont fait des progrès considérables, mais qu’à partir du moment où vos concurrents ont accès aux mêmes outils, prestataires et jeux de données tierces, la différence ne peut se faire que dans l’intégration et non dans l’hyper-spécialisation.
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Vous aurez noté que j’ai inclus dans cet article des liens vers de nombreux autres articles publiés ces deux dernières années. Comme expliqué plus haut, ça n’a l’air de rien, mais ce schéma est la résultante de plusieurs années de recherche et de réflexions pour formaliser une théorie du tout. Ma modeste contribution à une profession qui se cherche, et qui ne doit définitivement pas tomber dans les pièges du solutionisme technologique (IA et machine learning) ou du bullshit marketing (le fait que cette expression existe est la preuve que les nombreuses dérives nuisent à l’image du marketing en tant que profession).
Merci pour cette synthèse et vos enseignements
Rassurée… Pas encore totalement has been professeur! (Mba inno touristique)
Très fort Frédéric.
Un grand pas en avant peut etre fait par cette vision « inclusive » et « impartiale » d’une discipline qui manquait de sens.
Surement que d’autres chercheurs troueront l’occasion d’y ajouter leur patte, leurs détails… mais le « tout » est déjà palpable.
Chapeau. Et merci
J’ai apprécié. Cela étant dit j’ose espérer que Fred parle du BtC, car je suis assez sidéré que le marketing n’envisage qu’à la marge de se mettre au service des commerciaux. J’oserais même dire que cela semble ‘pire’ puisque Fred annonce que le marketing doit participer à adapter l’appareil commercial. En BtB (et souvent aussi en BtC) ceux qui sont le plus en contact avec le marché ce sont les commerciaux. De plus en plus le digital apporte la notion de Smarketing (S pour sales) et que celui-ci est que le marketing s’aligne aux besoins des commerciaux et arrête d’être dans une tour d’ivoire et qui considère l’appareil commercial comme un simple exécutant?
Effectivement, je n’aborde pas réellement le contexte BtoB ou BtoBtoC. Ceci étant dit, les fondamentaux restent les mêmes : être à l’écoute du marché. La seule différence en BtoB est que les commerciaux remontent des insights du terrain et que les marketeurs sont censé produire des outils de vente pour eux. Après ça, il existe différents courants qui cassent les silos et fusionnent les pratiques de marketing / vente comme le Inbound Marketing ou le Grow Hacking.