Nous sommes en plein dans la quatrième révolution industrielle, celle du numérique, et les terminaux, outils et supports numériques sont omniprésents dans notre vie courante. Avec le coronavirus nous traversons une période de grands bouleversements, mais plutôt que de les ralentir, les contraintes d’un quotidien sans contact accélèrent le rythme d’adoption de nouveaux usages numériques. La difficulté pour les entreprises et organisations est de pouvoir s’adapter suffisamment vite à l’évolution du marché, un exercice périlleux qui nécessite au préalable une prise de recul pour bien comprendre l’impact des changements précédents.

Si nous ne savons pas où nous allons, au moins pouvons-nous faire le point sur là d’où nous venons. La période estivale est ainsi l’occasion de vous présenter un bilan des usages et innovations numériques de ces dix dernières années. L’objectif étant d’y voir plus clair dans ce maelstrom numérique et de mieux aborder la prochaine décennie.
10 usages et supports numériques qui existaient déjà en 2010
Avant de me lancer dans l’énumération des principaux changements ou faits marquants des années 2010, il est important de se remémorer ce qui existait avant pour prendre du recul et se rendre compte que certains usages sont bien plus anciens qu’on ne le pense. Exemple tout bête : le commerce en ligne n’est pas un phénomène récent, il est apparu il y a 40 ans avec l’introduction du Minitel et des premiers services télématiques marchands de la SNCF ou de La Redoute au début des années 80.
Voici donc les dix supports, usages ou pratiques numériques numériques qui existaient déjà au début de la dernière décennie :
- Les médias sociaux. En 2010, il n’y avait ni SnapChat ni TikTok, Instagram venait à peine d’être lancé, mais il y avait déjà YouTube, Twitter et bien évidement Facebook qui bénéficiait à l’époque d’une très belle audience et d’une croissance spectaculaire (Facebook : synthèse des chiffres et usages 2010). En dix ans, le paysage s’est fortement densifié (Panorama des médias sociaux 2020).
- Les smartphones. Saviez-vous qu’il s’était vendu à peine 300 M de smartphones dans le monde en 2010 (Nombre de smartphones vendus aux utilisateurs finaux dans le monde entre 2007 et 2018) ? À cette époque, Apple dominait largement le marché avec son tout nouvel iPhone 4 (Steve Jobs était encore aux commandes) et Android n’en était qu’à sa version 2.2. Depuis, le smartphone est devenu l’icône du 21e siècle et le sésame du déconfinement.

- Les GAFAM. Cet acronyme n’a commencé à être utilisé qu’en 2009, mais les cinq géants du numérique représentaient déjà une capitalisation boursière cumulée qui approchait du billiard de $ (A Decade of Growth for GAFAM). Une valorisation largement dépassée pour chacun d’entre eux (Amazon, 3rd GAFAM to exceed $ 1.5 trillion in valuation) qui s’imposent comme les nouvelles super-puissances et nous imposent leurs conditions (L’hégémonie des GAFA leur permet de majorer la taxe numérique).

- Les jeux sociaux / mobiles. L’étoile montante du créneau à cette époque était Zynga, un pur produit de la Silicon Valley qui préparait déjà son introduction en bourse (The Future of Social Games is Mobile). N’allez pas penser que les casual games sont des attrape-nigauds, car ils se révèlent être de très bons leviers de transformation numérique.
- Les publicités natives. Utilisées principalement sur Google (résultats payants), les native ads faisaient leurs débuts sur Facebook (messages sponsorisés), avec le succès qu’on leur connait depuis (Native Advertising : 2020 Global Snapshot).
- Les logiciels en ligne. À l’époque, SalesForce s’affichait comme le pirate de l’industrie logiciel. Une posture qui a bien évolué, car le Software-as-a-Service est depuis plusieurs années le modèle de référence.

- Le cloud computing. En 2010, AWS existait depuis 4 ans et Microsoft venait tout juste de lancer son offre Azure. Cette année, c’est un marché qui devrait dépasser les 400 MM$ (Cloud Computing Market Projected To Reach $411B By 2020).
- L’internet des objets. Croyez-le ou non, mais en 2010, le nombre d’objets connectés avait déjà dépassé celui des êtres humains. À cette même période, les grands promoteurs de l’IoT s’étaient même livrés à l’exercice délicat des prédictions avec une étonnante précision : Ericsson CEO Predicts 50 Billion Internet Connected Devices by 2020.

- Les univers virtuels. Second Life est passé de mode, mais les résidents les plus actifs sont toujours présents et observent même une recrudescence de nouveaux utilisateurs (Second Life enjoys a surprising renaissance as social distancers flock to virtual worlds). Certes, de nombreux univers virtuels actifs en 2010 ont disparu depuis, mais il reste des bastions d’utilisateurs fidèles sur des plateformes comme Habbo, IMVU, Runescape… (La revanche des environnements virtuels et leur impact sur les médias).
- L’intelligence artificielle. J’ai déjà eu de nombreuses occasions de vous expliquer que l’IA est un domaine très vaste, qui ne se limite pas au deep learning (Intelligence artificielle et machine learning s’installent durablement dans notre quotidien), beaucoup plus ancien qu’on ne le pense (L’intelligence artificielle est un outil de productivité comme les autres), et qui couvre notamment des disciplines comme l’IA symbolique qui s’appuie sur des moteurs de règles largement exploités à cette époque (les fameux « agents intelligents »).
Tous ces supports, usages et pratiques existaient donc déjà en 2010, c’est sur cette base que de nombreux autres ont pu s’appuyer pour se développer. Rétrospectivement, les smartphones et médias sociaux ont été de loin les plus gros facteurs de changement, deux sujets qui sont d’ailleurs étroitement liés…
Intéressons-nous maintenant à la décennie passée.
20 tendances ou pratiques numériques qui se sont développées ces dix dernières années
À l’échelle du web, une décennie représente une éternité. Bon OK, pas tout à fait une éternité, plutôt 1/3 de son existence en fait (30th Anniversary of the World Wide Web). Si l’on part du principe que ce dernier tiers a été le plus prolixe, identifier les vingt tendances ou pratiques majeures est un exercice compliqué. Quoi qu’il en soit, voici celles qui sont selon moi les plus représentatives de cette décennie passée :
- Les plateformes et agrégateurs. Impossible de ne pas entamer cette liste sans parler des plateformes de mise en relation et des agrégateurs de contenus / services (Comment les plateformes de contenus et services ont redéfini le web). Nous manquons certainement de recul pour bien mesurer leur impact sur l’évolution de nos habitudes et attentes (Les plateformes numériques digèrent le monde), mais nous savons avec certitude que les plateformes, agrégateurs et super apps sont la base de la consommation à la demande et de l’économie de l’abondance (Quand les plateformes numériques passent de l’intermédiation à l’intégration, que reste-t-il aux acteurs traditionnels ?).
- Les contenus visuels. Là aussi, nous manquons de recul pour constater qu’avec les stories, micro-vidéos, snaps et autres photos sur Instagram, nous clôturons la civilisation de l’écrit et ouvrons une nouvelle page de l’histoire de l’humanité (Révolution numérique : la fin de la civilisation de l’écrit ?). Cette assertion peut vous surprendre, mais je suis persuadé que les historiens du futur décriront cette période comme une phase de transition entre deux époques.

- Les influenceurs. Difficile de s’imaginer les médias sociaux sans leurs sempiternels influenceurs et autres vendeurs de rêves. Nous savons aujourd’hui que les influenceurs sont un support promotionnel indispensable pour les marques, nous savons également qu’ils représentent un véritable pan économique (The Passion Economy and the Future of Work), avec ses dérapages (Step Chickens and the Rise of TikTok Cults) et ses faux-semblants (L’autorégulation est-elle suffisante pour éviter les dérives publicitaires sur les médias sociaux ?). Toujours est-il que le phénomène des Key Opinion Leaders se banalise et que les marques cherchent maintenant à s’appuyer sur des personnalités visibles plus authentiques, les Key Opinion Customers (nano-influenceurs en français).
- Les vérités alternatives. Conséquence de l’hégémonie des médias sociaux et la capacité d’individus plus ou moins bien intentionnés à s’adresser à des dizaines / centaines de millions d’individus sans aucun filtre : la propagation de fake news et autres vérités alternatives. Le phénomène à pris une telle ampleur dans un quotidien où tout est polarisé, qu’aujourd’hui suivre l’actualité revient à rejoindre le clan de telle ou telle personnalité qui défend SA vérité sur un sujet (chloroquine, violences policières…). Il en résulte un maelstrom d’informations et signaux contradictoires qui profite à de nombreux illuminés (antivax, platistes…) et qui complique la tâche des journalistes (ex : The Latest Covid Party Story Gets a Twist).
- Le cyber-harcèlement. Là encore, une conséquence de la facilité à publier, partager et réagir en ligne, le tout dans le plus parfait anonymat, est la montée en puissance du harcèlement. Le phénomène a pris tellement d’ampleur que le législateur a dû définir un cadre : La loi contre la haine sur Internet définitivement adoptée par l’Assemblée nationale.
- Les contenus longs. Pour contre-balancer tout ce que nous venons de voir, il existe heureusement des pratiques beaucoup plus qualitatives, celles qui privilégient la prise de recul (slow blogging), la richesse éditoriale (long form) et le partage d’idées et points de vue. Le podcast est ainsi LA grande tendance de ces dernières années (How podcasts grew into a multimillion-dollar industry).
- Les objets connectés. Saviez-vous qu’il s’était vendu plus de 60 M de AirPods l’année dernière ? Bénéficiant des nombreuses améliorations est innovations technologiques, les objets connectés et wearables sont un marché parfaitement mûr (Panorama des terminaux alternatifs 2020) et surtout un excellent levier de rétention pour les GAFAM.

- Les cyber-attaques. Contre-partie de la généralisation des outils numériques , une recrudescence des attaques de hackers qui ciblent aussi bien les objets connectés (A laser pointer can trick your smart devices into opening your doors, starting your car) que les services en ligne (Cybersécurité : la moitié des attaques passe désormais par le Cloud). Certaines opérations sont particulièrement spectaculaires (La Nouvelle-Orléans en état d’urgence à cause d’une cyberattaque, Twitter’s massive attack: Apple, Biden, Obama, Musk, and others tweeted a bitcoin scam), de très grandes ampleurs (The 15 biggest data breaches of the 21st century, Dark Web : 15 milliards d’identifiants de connexion découverts par Digital Shadows), pour la plupart très coûteuses (How much would a data breach cost your business?) et qui posent de nombreuses questions (The massive Twitter hack could be a global security crisis).
- Les problèmes de confidentialité. J’imagine que vous vous doutiez que j’allais rapidement amener le sujet… Dire que la confidentialité des utilisateurs est régulièrement piétinée serait largement en dessous de la réalité. Entre les pratiques douteuses des growth hackeurs et les abus des campagnes publicitaires politiques, la confiance des utilisateurs envers les outils ou supports numériques est au plus bas (La confiance sera LE gros chantier numérique de l’année). Le GDPR était censé mettre de l’ordre dans ce gros bazar, mais visiblement tout le monde ne joue pas dans les règles (Cookies et RGPD : une case cochée par défaut n’est pas un consentement valable et The latest trend in ad tech fraud: Faking GDPR consent strings). Le plus triste dans cette histoire est qu’ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis (De l’évolution nécessaire des stratégies marketing dans un monde post-cookies).
- Les services de streaming. À une époque pas si lointaine, il fallait se mettre d’accord entre membres d’une même famille sur un programme TV à regarder le soir et se débrouiller pour être présents devant son écran à l’heure H. Aujourd’hui avec la généralisation des smartphones et de la 4G, chacun peut regarder ce qu’il veut au moment qu’il a choisi. Nous sommes en plein dans l’ère des médias individualisés, par opposition aux médias de masse, et les deux leaders de la catégorie n’en finissent plus de grossir (The pandemic has been great for Netflix et Spotify Q1 beats on sales of $2B with monthly active users up 31% to 286M), tandis que l’offre n’en finit plus de se diversifier (OTT Media: Current 2020 Landscape).

- La vidéo live. Autre phénomène lié à la généralisation des smartphones et de la 4G : la forte croissance des services de diffusion de vidéos en live, que ça soit pour les jeux vidéo (Twitch breaks records again in Q2, topping 5B total hours watched), des activités plus traditionnelles (Chess is blowing up on Twitch) ou pour le commerce (The World’s Livestream Queen Can Sell Anything). Des pratiques extrêmement populaires en Asie, mais qui peinent encore à se développer en Occident, malgré le forcing de Amazon et Google (Google’s latest R&D project is a mobile video shopping platform et Amazon Influencer Program opens to live streamers for broadcasting to Amazon Live) et les expérimentations de certaines marques (Beauty brands adopt shoppable livestreaming in the US).

- La réalité augmentée et virtuelle. J’aurais pu intégrer les réalités alternées dans la liste des choses qui existaient déjà il y a 10 ans (cf. cet article publié en 2009 : Réalité augmentée, le nouvel eldorado des smartphones), mais nous n’en étions alors qu’aux tout débuts, et surtout il n’existait pas d’offres matérielles crédibles. Aujourd’hui, la situation a bien changé, car la réalité augmentée est maintenant nativement prise en charge par les smartphones (Apple and Snap Signal Local AR Commerce Ambitions) ainsi que d’autres supports (Augmented reality heads-up displays for cars are finally a real thing), et car les équipements pour les particuliers ou les professionnels ont fait d’énormes progrès (Tour d’horizon des dernières nouveautés de la réalité augmentée – mixte – virtuelle).
- Les jeux massivement multi-joueurs et métavers. Enfants terribles des univers virtuels et des jeux vidéo, les jeux en ligne massivement multi-joueurs remportent un succès colossal (Fortnite is now one of the biggest games ever with 350 million players) et sortent du cadre purement ludique pour nous faire saliver sur ce qui pourrait être l’avenir des médias (Silicon Valley is racing to build the next version of the Internet, Fortnite might get there first). Le patron de Netflix considère d’ailleurs que Fortnite est son plus gros concurrent, ni Disney, ni HBO. Outre le fait que la promesse d’un univers virtuel persistant se rapproche de jour en jour (The Metaverse: What It Is, Where to Find it, Who Will Build It), force est de constater qu’entre les serious games et les pratiques de gamification des applications traditionnelles, le jeu est maintenant largement répandu dans notre culture (Le XXIème siècle sera vidéo-ludique).
- Les crypto-monnaies et la blockchain. Oui je sais, Bitcoin a été lancé en 2009, cette monnaie numérique mériterait donc d’être incluse dans ma liste de choses qui existaient déjà en 2010. Cependant, les débuts ont été laborieux, et surtout, les très faibles volumes de l’époque n’ont plus rien à voir avec les giga-transactions d’aujourd’hui (The most secretive Bitcoin wallet just moved nearly $1 billion). Les crypto-monnaies sont maintenant des instruments financiers couramment utilisés (Cryptocurrency: Redefining the Future of Finance), des supports monétaires que l’on envisage même comme solution de relance (Une monnaie locale pour la sortie de crise). Si Facebook est toujours empêtré dans son projet pour des raisons géopolitiques, le spectre d’une nouvelle monnaie globale qui ne soit pas contrôlée par un pays a de quoi inquiéter les grandes nations et les banques traditionnelles (Doit-on empêcher Facebook de bousculer le système bancaire ?). Idem pour la blockchain, considérée comme une technologie utopiste à ses débuts, les projets communs ou souverains se précisent (Comment Hyperledger a gagné la bataille de la blockchain et Beijing unveils plan for blockchain-based government) et nous font envisager l’informatique sous un nouvel angle (The Redecentralized Web).
- Les big data. L’exploitation des mégadonnées est une pratique ancienne, l’expression « big data » serait ainsi apparue au siècle dernier, mais les pratiques ont explosé grâce à la compétitivité des offres de cloud computing et grâce à la modularisation des S.I. (disponibilité quasi-systématique d’APIs). Je pense ne rien vous apprendre en vous disant que la data est le nouvel or noir (La donnée est un enjeu majeur de l’accélération digitale), c’est même devenu un enjeu géopolitique (La France et l’Allemagne collaborent sur le Big Data pour rattraper les Etats-Unis), car les données sont la matière première des systèmes apprenants.
- Le machine learning. Devenus viables grâce aux ressources informatiques facturées à l’utilisation et grâce aux nombreuses données ouvertes et jeux de données packagées disponibles, les pratiques d’apprentissage machine ont connu un essor fulgurant ces dernières années, à telle point que l’on en fait le point d’orgue de la révolution numérique (De l’apport de l’intelligence artificielle pour la quatrième révolution industrielle). Il existe quantité d’études plus ou moins optimistes sur le potentiel du machine learning, mais le plus pertinent est de considérer que c’est une discipline qui permet d’industrialiser la mise en point et le perfectionnement de modèles de traitements automatiques, soit un énorme gain potentiel de productivité pour s’affranchir des tâches répétitives et à faible valeur ajoutée.

- Les assistants numériques et interfaces vocales / visuelles. Personne ne peut nier les progrès réalisés par les assistants numériques, car ils sont parmi les premiers à bénéficier de l’apprentissage machine et plus particulièrement des méthodes dites de deep learning. Si pour le moment, ils sont cantonnés à des usages basiques (Les assistants personnels ne délivrent leur potentiel que pendant les micro-moments vocaux), ils vont petit à petit s’imposer dans notre quotidien pour devenir indispensables et surtout omniprésents (Les assistants personnels sont les nouveaux navigateurs web, et les GAFAM en sont les maitres absolus). De même, les progrès spectaculaires réalisés en matière de reconnaissance vocale et visuelle précipitent le déclin des périphériques de saisie actuels (claviers, stylets, écrans tactiles…) et nous préparent à l’ère post-smartphone.
- La publicité programmatique. Autres grands bénéficiaires du machine learning et des outils de big data, les pratiques de programmatic buying sont maintenant la référence, surtout à l’ère des médias individualisés où chaque offre doit être parfaitement ciblée et personnalisée pour espérer attirer l’attention des internautes et avoir une (petite) chance de transformer. Les innombrables offres et intermédiaires technologiques permettent aux annonceurs de se constituer de véritables machines de guerre publicitaires, mais restent terriblement dépendants des gardiens de l’audience (principalement Google et Facebook) et de l’évolution de la législation.
- Les outils low/no code. Tout ce qui touche de près ou de loin au numérique exige nécessairement un développement informatique, donc un minimum de ressources. Avec l’intensification de l’exploitation des outils et supports numériques, un goulot d’étranglement s’est naturellement formé entre la demande (les besoins des entreprises) et l’offre (les développeurs). Pour pouvoir réduire l’écart entre les deux, la communauté informatique s’est mobilisée pour créer des briques technologiques communes afin de gagner du temps et de standardiser les développements (très utiles pour assurer la maintenance). Il en résulte des frameworks et librairies partagées comme Boostrap, Foundation, jQuery, Angular, React, Meteor, Symfony, Django… des noms barbares qui ne vous disent probablement rien, mais qui simplifient considérablement le développement des sites et applications avec des pratiques qui s’apparentent à la cuisine d’assemblage. Le but de l’exercice étant de réduire le nombre de lignes de code à produire, d’où le terme « low code ». Encore plus fort, il existe maintenant une série d’outils permettant de concevoir et déployer des applications en ligne sans avoir à taper une seule ligne. Une capacité bien pratique quand les délais sont très serrés ou que le marché est très instable (Le no-code pour s’adapter plus vite dans un environnement post-COVID).

- Les grands acteurs du numérique asiatiques. Inconnus du grand public il y a quelques années, de sociétés chinoises comme Huawei, Xiaomi, Alibaba, Tencent ou ByteDance alimentent aujourd’hui de nombreux débats, car leurs produits ou services sont étroitement liés à nos usages numériques quotidiens. Ceci est la résultante d’une politique d’exportation et de prise de participation très agressive des acteurs majeurs du numérique en Chine (les fameux BATHX). Notez que l’émergence des géants asiatiques du numérique ne se limite pas à la Chine puisque l’on s’intéresse aussi énormément aux pays d’Asie du Sud-est avec des acteurs comme Lazada ou GoJerk, ainsi qu’à l’Inde avec des sociétés comme Jio, Flipkart, Paytm…

Ceci conclut les vingt tendances ou pratiques numériques majeures de ces dix dernières années. Comme vous pouvez le constater, cette décennie a été riche en innovations et bouleversements. La prochaine s’annonce encore plus riche, voilà pourquoi il faut s’y préparer dès maintenant.
10 préoccupations des marques et organisations
Maintenant que nous avons récapitulé les deux dernières décennies, il convient de s’intéresser à la suite. Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans un exercice de futurologie, mais plutôt dans une énumération des grands enjeux numériques auxquels les marques et organisations doivent faire face :
- L’expérience utilisateur / client. Les consommateurs étant maintenant extrêmement volatiles et sous pression avec la nouvelle crise économique qui s’amorce, il est indispensable de s’intéresser (au pire) et de cherche à améliorer (au mieux) l’expérience d’achat et de possession. Ceci passe par un changement de mentalité : comprendre que nous ne sommes plus dans une logique de distribution / consommation de masse, mais que nous sommes en plein dans l’économie de l’expérience. Ainsi, l’important n’est pas ce que vous avez à vendre, mais le service que vous rendez à vos clients.
- Les interfaces post-écrans. À mesure que les terminaux numériques se diversifient et que l’attention des utilisateurs se fragmente entre les différents canaux, il est primordial pour les marques et organisations de comprendre les nouveaux usages ainsi que les spécificités et contraintes (Sommes-nous à la veille d’un nouveau paradigme numérique ?). Une fois ces subtilités bien appréhendées, il convient d’adapter en conséquence son écosystème numérique ou à défaut son écosystème mobile.
- Le commerce unifié. Le commerce en ligne est une réalité que personne ne peut ignorer. Ceci est d’autant plus vrai avec la pandémie qui a forcé les autorités à fermer les magasins pendant deux mois. La nouvelle réalité à laquelle les acteurs de la distribution doivent s’habituer repose sur de nombreuses contraintes sanitaires et une incertitude permanente liée à d’autres crises sanitaires ou sociales. Le commerce sans contact impose ainsi une refonte du parcours d’achat pour s’adapter à toutes ces nouvelles contraintes. Plus généralement, ce ne sont pas que les circuits de distribution qu’il faut faire évoluer, mais les mentalités pour adopter une approche agnostique du commerce et s’affranchir des dogmes d’une époque révolue (2020 sera l’année du commerce total).
- La data literacy. Cela fait plusieurs décennies que les entreprises exploitent les données internes à l’aide d’outils d’informatique décisionnelle (small data). Cela fait également de nombreuses années qu’elles analysent les données externes afin d’identifier de nouvelles tendances (big data). Mais généralement, ces analyses sont faites par des prestataires ou à l’aide d’outils externes. Pour pouvoir intensifier ces pratiques, les entreprises vont devoir ré-internaliser ces analyses afin de gagner en réactivité (en supprimant des intermédiaires) et baisser les coûts. Pour ce faire, elles vont devoir mobiliser toutes les équipes et leur inculquer une culture de la donnée, les familiariser avec de nouvelles façons de travailler ou d’aborder une problématique, et surtout les faire monter en compétences sur des outils et pratiques dédiées à l’analyse de données (La data literacy ou la « culture de la donnée », le prochain enjeu de nos sociétés). L’objectif pour les entreprises est d’identifier de nouvelles opportunités et surtout de développer de nouvelles capacités (Des entreprises augmentées aux entreprises exponentielles).
- L’automation. Il ne vous a pas échappé que la mode est à l’automatisation des processus et des traitements routiniers. Non, ce n’est pas une mode, mais plutôt l’évolution logique d’entreprises et organisations qui cherchent constamment à améliorer leurs performances (Pourquoi l’intelligence artificielle ? Pour faire plus avec moins). Automatiser les tâches répétitives n’est en soi pas un problème, mais c’est une démarche qui exige beaucoup de rigueur dans la modélisation de ces tâches (surtout pour ce qui concerne les cas particuliers et exceptions), ainsi que de la pédagogie pour ne pas faire peur aux salariés qui étaient en charge de ces tâches et peuvent se sentir menacés. Là encore, il y a un enjeu technique, mais également humain pour pouvoir mener à bien cette transformation.
- Le marketing agile. Comme précisé plus haut, nous sommes dans un contexte de marché très tendu avec des comportements d’achat imprévisibles. Impossible dans ces conditions d’appliquer les recettes du siècle dernier (communication de masse). De même, face à des consommateurs à la fois perturbés par la crise sanitaire et conscients des enjeux écologiques, il n’est plus possible de célébrer la consommation de masse comme c’était le cas il y a encore quelques années (ex : se faire bousculer dans les magasins pendant les soldes ou le black friday afin de renouveler ses équipements ou sa garde-robe et jeter les anciens). Il convient donc d’adapter les pratiques marketing pour mieux calibrer les offres aux besoins des consommateurs et réduire le délai de mise sur le marché, avec une approche plus globale : changer les méthodes, outils, mais également les mentalités (De l’intérêt d’un novel marketing reposant sur l’agilité et la collaboration).
- La confiance. Saviez-vous que la majorité des Français refuse de partager ses données avec les entreprises ? D’après une étude récente, 59% des sondés refusent de partager leurs données en ligne ainsi que dans les boutiques physiques, même dans le cadre de programmes de fidélité. Force est de constater que les grands scandales de ces dernières années (ex : viande de cheval chez Findus, tests de pollution truqués chez VW…) ont renforcé la défiance de consommateurs déjà blasés par les innombrables promesses martelées via les campagnes publicitaires. À partir de ce constat, un important travail de reconquête de la confiance des consommateurs doit être mené en s’appuyant notamment sur une plus grande transparence (procédures internes, traçabilité des produits…) et davantage de proximité (ne plus se cacher derrière un call center ou un formulaire de réclamation). Les médias sociaux peuvent jouer un rôle primordial dans ce contexte, encore faut-il qu’ils soient opérés en interne et non sous-traités à des prestataires…
- L’inclusion et la diversité. À une époque pas si lointaine, l’accessibilité était un pré-requis pour de nombreux sites web. Ce sujet tombé aux oubliettes revient néanmoins sur le devant de la scène à mesure que notre société se soucie à nouveau des personnes en situation de handicap (déficiences visuelles, auditives, moteurs, cognitives…) et s’applique bien évidemment aux nombreux points de contact numériques des marques. De même, la diversité est une préoccupation et un sujet de discorde qui touche les conseils d’administration (où l’on constate une très large sur-représentation des hommes blancs de plus de 50 ans), mais également toutes les fonctions de l’entreprise. Afin d’offrir une chance à tous, quels que soient l’âge ou le diplôme, les entreprises devront impérativement renforcer les pratiques de formation sur les compétences fonctionnelles et techniques (hard skills), mais également sur les compétences humaines (soft skills) afin d’éviter les dérives (comportements toxiques, harcèlement professionnel…). Là encore, le numérique est un levier très puissant pour accélérer la montée en compétences et pour stimuler l’auto-apprentissage (Les capacités d’apprentissage et d’adaptation sont les piliers de l’entreprise moderne).
- L’engagement sociétal. Quasiment toutes les grandes entreprises ont des politiques RSE. Du moins, toutes ont une partie dédiée à la RSE dans leur rapport annuel… À mesure que nous devons faire face à des crises climatiques et sociales toujours plus violentes, les entreprises vont devoir se doter de moyens performants pour identifier les problèmes (ex : outils d’audit et d’analyse interne) et trouver des solutions pertinentes, notamment en utilisant pour cela des techniques de design thinking et de lean management. Et à nouveau, le numérique démontre son efficacité pour l’analyse initiale (collecte et exploitation de données), le contrôle de la mise en oeuvre (traçabilité, smart data, tableaux de bord…) et la communication des résultats (à travers les médias sociaux).
- La géopolitique numérique. Personne ne se serait douté il y a quelques années que les gouvernements se soucieraient un jour du pays d’origine des équipements de télécommunication, des prestataires de cloud ou des éditeurs de plateformes sociales. Pourtant, force est de constater que le numérique est maintenant un enjeu géopolitique, comme l’était l’agriculture ou le nucléaire au siècle dernier (ex : financement par des puissances étrangères d’opérations de désinformation avant les élections, bannissement d’applications mobiles chinoises par les autorités indiennes, rejet d’opération de rachat ou de fusion par des sociétés chinoises ou russes…). L’échiquier géopolitique est complexe, mais le décrypter à travers le prisme numérique est un exercice de haute voltige pour des dirigeants qui ne comprennent toujours pas l’intérêt du commerce en ligne. Et pourtant, c’est un exercice auquel les entreprises devront se plier pour avoir une meilleure lecture du marché et pouvoir prendre sereinement les bonnes orientations stratégiques en évaluant de façon précise le niveau d’exposition au risque et en concevant des scénarios prospectifs réalistes. Encore une fois, c’est un exercice complexe, car la situation est particulièrement tendue (Les médias sociaux victimes de la transformation digitale de la géopolitique) et parce que la tentation est grande de prendre des raccourcis (Plaidoyer contre le populisme numérique).
Les enjeux de la prochaine décennie sortent donc du contexte du numérique… mais y sont tous immanquablement associés pour une simple raison : le numérique est omniprésent dans une société qui paye sa lente capacité d’évolution.
S’adapter à un quotidien numérique pour espérer survivre à la prochaine décennie
Loin de moi l’idée de jouer les oiseaux de mauvais augure, mais vous conviendrez que cette nouvelle décennie ne s’ouvre pas dans les meilleures conditions. Les marques devront redoubler d’efforts pour relancer leur activité en sortie de crise (Transformation digitale, data et agilité, le triptyque du déconfinement) mais également pour s’adapter à une nouvelle concurrence (De l’incapacité des entreprises traditionnelles à s’adapter à l’accélération numérique). Plus globalement, les entreprises et organisations devront lutter pour trouver leur place dans une société en pleine mutation (Il est urgent de réfléchir aux fondamentaux d’une nouvelle société numérique) où la nature même de l’être humain est remise en question (De la nécessité d’un nouveau contrat social pour homo numericus).
Tenez-vous-le pour dit : la prochaine décennie sera sans pitié pour celles et ceux qui refusent le changement. « Mobilis in mobile » est la devise du Capitaine Nemo dans l’oeuvre de Jules Verne, elle devrait également être celle des entreprises soucieuses d’assurer leur avenir. Dans un prochain article, nous aborderons les chantiers numériques les plus urgents et les plus accessibles.
merci fred
Bonjour et bravo pour cette analyse.
La vie et nos usages changent tellement vite qu’on ne prend pas le temps de faire cette pause pour voir d’où on vient et où on est.
Petite correction: les AirPods ne sont pas des objets connectés (à internet).
C’est une des gros avantages d’Apple, les infos privées ( ex santé ) ne sortent généralement pas de l’appareil (à la différence d’une montre connectée comme withing ou fossil)
Le sujet n’est effectivement plus la techno mais l’affrontement à venir entre l’humain et la machine.
On attend 6,5 millions de chômeurs pour la fin de l’année… il va falloir réfléchir à d’autres modes de vie ensemble.
Pour cela, créer de nouvelles monnaies intégrant les apports contemporains: une pour la transition et une pour la reconnaissance du Care seront les premières.
Oui j’ai brièvement abordé l’idée d’une monnaie locale, solidaire et dématérialisée pour accompagner la relance de l’économie et le soutien aux personnes les plus touchées (distribuer des Euros ne va faire que creuser la dette et enrichir les sociétés chinoises / allemandes).